Page:Mignet - Histoire de la Révolution française, 1838.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
214
RÉVOLUTION FRANÇAISE.

voulaient le châtiment. Les Montagnards, craignant qu’on n’examinât leur conduite passée, et que leurs adversaires ne prissent avantage d’une condamnation pour les attaquer plus ouvertement eux-mêmes, parvinrent à faire cesser les poursuites. Cette impunité enhardit encore les chefs de la multitude ; et Marat, qui avait, à cette époque, une incroyable influence sur elle, l’excita au pillage des marchands, qu’il accusait d’accaparer les subsistances. Il s’élevait violemment, dans ses feuilles et aux Jacobins, contre l’aristocratie des bourgeois, des commerçants et des hommes d’état (c’est ainsi qu’il appelait les Girondins), c’est-à-dire contre tous ceux qui, dans la nation ou dans l’assemblée, s’opposaient encore au règne des sans-culottes et des Montagnards. Il y avait quelque chose d’effrayant dans le fanatisme et l’invincible obstination de ces sectaires. Le nom donné par eux aux Girondins depuis le commencement de la convention, était celui d’intrigants, à cause des moyens ministériels, et un peu sourds, avec lesquels ils combattaient dans les départements la conduite audacieuse et publique des Jacobins.

Aussi les dénonçaient-ils régulièrement dans le club. « À Rome, un orateur disait tous les jours : Il faut détruire Carthage. Eh bien ! qu’un Jacobin monte tous les jours à cette tribune pour dire ces seuls mots : Il faut détruire les intrigants. Eh ! qui pourrait nous résister ? Nous combattons le crime et le pouvoir éphémère des richesses ; mais nous avons pour nous la vérité, la justice, la pauvreté, la vertu... Avec de telles armes bientôt les Jacobins diront : Nous n’avons fait que passer, ils n’étaient déjà plus. » Marat, qui avait beaucoup plus d’audace que Robespierre, dont la haine et les projets se cachaient encore sous certaines formes, était le patron de tous les dénonciateurs et de tous les anarchistes. Beaucoup de Montagnards l’accusaient de compromettre leur cause par la fougue de ses conseils, et par des excès intempestifs ; mais le peuple jacobin entier le soutenait même contre Robespierre, qui, dans ses dissidences avec lui, obtenait rarement l’avantage. Le pillage, recommandé en fé-