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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

connaissait peu Marat, qu’avant le 10 août il n’avait eu qu’une seule conversation avec lui, après laquelle Marat, dont il n’approuvait pas les opinions violentes, avait trouvé ses vues politiques tellement étroites qu’il avait écrit dans son journal qu’il n’avait ni les vues, ni l’audace d’un homme d’état.

Mais c’était lui qui était l’objet d’un déchaînement plus grand, parce qu’on le redoutait davantage. La première accusation de Rebecqui et de Barbaroux n’avait pas réussi. Peu de temps après, le ministre Roland fit un rapport sur l’état de la France et sur celui de Paris ; il y dénonça les massacres de septembre, les empiétements de la commune, les menées des agitateurs. « Lorsqu’on rend, disait-il, odieux ou suspects les plus sages et les plus intrépides défenseurs de la liberté, lorsque les principes de la révolte et du carnage sont hautement professés, applaudis dans les assemblées, et que des clameurs s’élèvent contre la convention elle-même, je ne puis plus douter que des partisans de l’ancien régime ou de faux amis du peuple, cachant leur extravagance ou leur scélératesse sous un masque de patriotisme, n’aient conçu le plan d’un renversement, dans lequel ils espèrent s’élever sur des ruines et des cadavres, goûter le sang, l’or et l’atrocité ! » Il cita, à l’appui de son rapport, une lettre, dans laquelle le vice-président de la seconde section du tribunal criminel lui apprenait que lui et les plus illustres des Girondins étaient menacés ; que, selon l’expression de leurs ennemis, il fallait encore une nouvelle saignée, et que ces hommes ne voulaient entendre parler que de Robespierre.

À ces mots, celui-ci court se justifier à la tribune : Personne, dit-il, n’osera m’accuser en face. — Moi, s’écrie Louvet, un des hommes les plus résolus de la Gironde. Oui, Robespierre, poursuivit-il en le fixant de l’œil, c’est moi qui t’accuse. Robespierre, dont la contenance avait été assurée jusque là, fut ému ; il s’était une fois mesuré aux Jacobins avec ce redoutable adversaire, qu’il savait spirituel, impétueux et sans ménagement. Louvet prit aussitôt la parole, et, dans une improvisation des plus éloquentes, il ne ménagea ni