Page:Mignet - Histoire de la Révolution française, 1838.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
193
CONVENTION NATIONALE.

milieu de la convention, stupéfaite de son audace et de son sang-froid, ce qu’il pensait des proscriptions et de la dictature. Pendant longtemps il avait fui, de souterrain en souterrain, l’animadversion publique et les mandats d’arrêt lancés contre lui. Ses feuilles sanguinaires paraissaient seules ; il y demandait des têtes, et il préparait la multitude aux massacres de septembre. Il n’y a pas de folie qui ne puisse tomber dans la tête d’un homme, et ce qu’il y a de pis, qui ne puisse être réalisée un moment. Marat était possédé de plusieurs idées fixes. La révolution avait des ennemis, et selon lui pour qu’elle durât, elle ne devait pas en avoir ; il ne trouvait dès lors rien de plus simple que de les exterminer et de nommer un dictateur, dont les fonctions se borneraient à proscrire ; il prêchait hautement ces deux mesures, sans cruauté, mais avec cynisme, ne ménageant pas plus les convenances que la vie des hommes, et méprisant comme des esprits faibles tous ceux qui appelaient ses projets atroces, au lieu de les trouver profonds. La révolution a eu des acteurs plus réellement sanguinaires que lui, mais aucun n’a exercé une plus funeste influence sur son époque. Il a dépravé la morale des partis, déjà assez peu juste, et il a eu les deux idées, que le comité de salut public a réalisées plus tard par ses commissaires ou par son gouvernement, l’extermination en masse et la dictature.

L’accusation de Marat n’eut pas de suite non plus : il inspirait plus de dégoût, mais moins de haine que Robespierre. Les uns ne voyaient en lui qu’un fou ; les autres regardaient ces débats comme des querelles de parti, et non comme un objet d’intérêt pour la république. D’ailleurs, il paraissait dangereux d’épurer la convention ou de décréter un de ses membres, et c’était un pas difficile à franchir, même pour les partis. Danton ne disculpait point Marat : « Je ne l’aime pas, disait-il ; j’ai fait l’expérience de son tempérament : il est volcanique, acariâtre et insociable. Mais pourquoi chercher dans ce qu’il écrit le langage d’une faction ? L’agitation générale a-t-elle une autre cause que le mouvement même de la révolution ? » Robespierre assurait, de son côté, qu’il