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CONVENTION NATIONALE.

son ardent amour-propre de viser au premier rang, de tout faire pour s’y placer, de tout oser pour s’y soutenir. Robespierre avait des qualités pour la tyrannie : une âme nullement grande, il est vrai, mais peu commune ; l’avantage d’une seule passion, les dehors du patriotisme, une réputation méritée d’incorruptibilité, une vie austère, et nulle aversion pour le sang. Il fut une preuve qu’au milieu des troubles civils ce n’est pas avec son esprit qu’on fait sa fortune politique, mais bien avec sa conduite, et que la médiocrité qui s’obstine est plus puissante que le génie qui s’interrompt. Il faut dire aussi que Robespierre avait l’appui d’une secte immense et fanatique, dont il avait demandé le gouvernement et soutenu les principes depuis la fin de la constituante. Cette secte tirait son origine du dix-huitième siècle, dont elle représentait certaines opinions. Elle avait pour symbole en politique la souveraineté absolue du Contrat social de J. J. Rousseau, et en croyance le déisme de la Profession de foi du Vicaire savoyard ; elle parvint plus tard à les réaliser un moment dans la constitution de 93 et dans le culte de l’Être Suprême. Il y a eu, dans les diverses époques de la révolution, plus de système et de fanatisme qu’on ne l’a cru.

Soit que les Girondins prévissent de loin la domination de Robespierre, soit plutôt qu’ils se laissassent entraîner par leur ressentiment, ils l’accusèrent du crime le plus grave pour des républicains. Paris était agité par l’esprit de factions ; les Girondins voulurent porter une loi contre ceux qui provoquaient aux désordres, aux violences, et donner en même temps à la convention une force indépendante et prise dans les quatre-vingt-trois départements. Ils firent nommer une commission chargée de présenter un rapport à ce sujet. La Montagne attaqua cette mesure comme injurieuse pour Paris ; la Gironde la défendit, en signalant un projet de triumvirat formé par la députation de Paris. « Je suis né à Paris, dit alors Osselin ; je suis député de cette ville. On annonce un parti élevé dans son sein, qui veut la dictature des triumvirs, des tribuns. Je déclare, moi, qu’il faut être profondément ignorant, ou pro-