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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

et il était capable de lui consacrer avec désintéressement sa vie entière, ou de périr pour elle sans ostentation et sans regret. Homme digne d’être né dans une république, mais déplacé dans une révolution, et peu propre aux troubles et aux luttes des partis ; ses talents n’étaient pas supérieurs, son caractère était un peu roide ; il ne savait ni connaître ni manier les hommes ; et, quoiqu’il fût laborieux, éclairé, actif, il eût peu marqué sans sa femme. Tout ce qui lui manquait, elle l’avait pour lui : force, habileté, élévation, prévoyance. Madame Roland fut l’âme de la Gironde : c’est autour d’elle que se réunissaient ces hommes brillants et courageux, pour s’entretenir des besoins et des dangers de la patrie ; c’est elle qui excitait ceux qu’elle savait propres à l’action, et poussait à la tribune ceux qu’elle savait éloquents.

La cour nomma ce ministère, qui fut composé dans le mois de mars, le ministère sans-culotte. La première fois que Roland se présenta au château, avec des cordons aux souliers et en chapeau rond, contre les règles de l’étiquette, le maître des cérémonies refusa de l’admettre. Mais, forcé de le laisser entrer, il s’adressa à Dumouriez, en montrant Roland : Eh ! monsieur, point de boucles à ses souliers !Ah ! monsieur, tout est perdu ! répliqua Dumouriez avec le plus grand sang-froid. Telles étaient encore les préoccupations de la cour ! La première mesure du nouveau ministère fut la guerre. La position de la France devenait de plus en plus dangereuse, et il y avait tout à craindre des mauvaises volontés de l’Europe. Léopold était mort, et cet événement était propre à accélérer les déterminations du cabinet de Vienne. Son jeune successeur, François II, devait être moins pacifique ou moins prudent que lui. D’ailleurs, l’Autriche réunissait ses troupes, traçait des camps, désignait des généraux ; elle avait violé le territoire de Bâle, et placé une garnison dans le pays de Porentruy, pour se ménager une entrée dans le département du Doubs. Il ne restait donc aucun doute sur ses projets. Les attroupements de Coblentz avaient recommencé en plus grand nombre ; le cabinet de Vienne n’avait momentanément dispersé les émigrés