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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

pouvoir mobile par l’élection, elle en faisait une magistrature publique ; tandis que le privilége, en le rendant héréditaire par la transmission, en fait une propriété privée.

La constitution de 1791 établit des pouvoirs homogènes, qui correspondaient entre eux et se contenaient réciproquement ; cependant, il faut le dire, l’autorité royale y était trop subordonnée à la puissance populaire. Il n’en est jamais autrement : la souveraineté, de quelque part qu’elle vienne, se donne toujours un faible contre-poids lorsqu’elle se limite. Une assemblée constituante affaiblit la royauté ; un roi législateur restreint les prérogatives d’une assemblée.

Cette constitution était pourtant moins démocratique que celle des États-Unis, qui a été praticable malgré l’étendue du territoire ; ce qui prouve que ce n’est pas la forme des institutions, mais bien l’assentiment qu’elles obtiennent, ou les dissidences qu’elles excitent, qui permettent ou empêchent leur établissement. Dans un pays nouveau, après une révolution d’indépendance, comme en Amérique, toute constitution est possible ; il n’y a qu’un parti ennemi, celui de la métropole, et, dès qu’il est vaincu, la lutte cesse, parce que la défaite entraîne son expulsion. Il n’en est pas de même des révolutions sociales chez des peuples qui ont eu une longue existence. Les changements attaquent des intérêts, les intérêts forment des partis, les partis se mettent en lutte, et plus la victoire s’étend, plus les ressentiments augmentent : c’est ce qui arriva à la France. L’œuvre de l’assemblée constituante périt moins par ses défauts que par les coups des factions. Placée entre l’aristocratie et la multitude, elle fut attaquée par l’une et envahie par l’autre. Celle-ci ne serait pas devenue souveraine, si la guerre civile et la coalition étrangère n’avaient pas exigé son intervention et ses secours. Pour défendre la patrie, il fallut qu’elle la gouvernât ; alors elle fit sa révolution, comme la classe moyenne avait fait la sienne. Elle eut son 14 juillet, qui fut le 10 août ; sa constituante, qui fut la convention ; son gouvernement, qui fut le comité de salut public : mais, comme nous le verrons, sans l’émigration il n’y aurait pas eu de république.