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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

ses temps d’épreuve, et de sa puissante raison depuis sa victoire, mourut à propos. Il roulait dans sa tête de vastes desseins : il voulait renforcer le trône et consolider la révolution, deux choses bien difficiles en pareil temps. Il est à craindre que la royauté, s’il l’eût rendue indépendante, n’eût voulu soumettre la révolution, ou, s’il eût échoué, que la révolution n’eût aboli la royauté. Peut-être est-il impossible de convertir un pouvoir ancien à un ordre nouveau ; peut-être faut-il qu’une révolution se prolonge pour qu’elle se légitime, et que le trône acquière, en se relevant, la nouveauté des autres institutions.

Depuis les 5 et 6 octobre 1789 jusqu’au mois d’avril 1791, l’assemblée nationale compléta la réorganisation de la France ; la cour se livra à de petites intrigues et à des projets de fuite ; les classes privilégiées cherchèrent de nouveaux moyens de puissance, ceux qu’elles possédaient autrefois leur ayant été successivement enlevés. Elles se servirent de toutes les occasions de désordre que leur fournirent les circonstances, pour attaquer le nouveau régime et ramener l’ancien à l’aide de l’anarchie. Au moment de la rentrée des parlements, la noblesse fit protester les chambres de vacations ; lorsque les provinces furent abolies, elle fît protester les ordres ; dès que les départements furent formés, elle tenta de nouvelles élections ; dès que les anciens mandats expirèrent, elle demanda la dissolution de l’assemblée ; dès que le nouveau code militaire fut décrété, elle provoqua la défection des officiers ; enfin, tous ces moyens d’opposition ne la conduisant pas au terme de ses desseins, elle émigra pour exciter l’Europe contre la révolution. De son côté, le clergé, mécontent de la perte de ses biens plus encore que de la constitution ecclésiastique, voulut détruire l’ordre nouveau par des soulèvements, et amener les soulèvements par un schisme. Ainsi ce fut pendant cette époque que les partis se désunirent de plus en plus, et que les deux classes ennemies de la révolution préparèrent les éléments de la guerre civile et de la guerre étrangère.