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INTRODUCTION.

À cet ordre abusif, la révolution en a substitué un plus conforme à la justice et plus approprié à nos temps. Elle a remplacé l’arbitraire par la loi, le privilége par l’égalité ; elle a délivré les hommes des distinctions des classes, le sol des barrières des provinces, l’industrie des entraves des corporations et des jurandes, l’agriculture des sujétions féodales et de l’oppression des dîmes, la propriété des gênes des substitutions ; et elle a tout ramené à un seul état, à un seul droit, à un seul peuple.

Pour opérer d’aussi grandes réformes, la révolution a eu beaucoup d’obstacles à vaincre, ce qui a produit des excès passagers à côté de ses bienfaits durables. Les privilégiés ont voulu l’empêcher, l’Europe a tenté de la soumettre ; et, forcée à la lutte, elle n’a pu ni mesurer ses efforts, ni modérer sa victoire. La résistance intérieure a conduit à la souveraineté de la multitude, et l’agression du dehors à la domination militaire. Cependant le but a été atteint, malgré l’anarchie et malgré le despotisme : l’ancienne société a été détruite pendant la révolution, et la nouvelle s’est assise sous l’empire.

Lorsqu’une réforme est devenue nécessaire, et que le moment de l’accomplir est arrivé, rien ne l’empêche, et tout la sert. Heureux alors les hommes, s’ils savaient s’entendre, si les uns cédaient ce qu’ils ont de trop, si les autres se contentaient de ce qui leur manque ; les révolutions se feraient à l’amiable, et l’historien n’aurait à rappeler ni excès, ni malheurs ; il n’aurait qu’à montrer l’humanité rendue plus sage, plus libre et plus fortunée. Mais jusqu’ici les annales des peuples n’offrent aucun exemple de cette prudence dans les sacrifices : ceux qui devraient les faire les refusent ; ceux qui les désirent les imposent ; et le bien s’opère comme le mal, par le moyen et avec la violence de l’usurpation. Il n’y a pas encore eu d’autre souverain que la force.

En retraçant l’histoire de cette importante période, depuis l’ouverture des états-généraux jusqu’en 1814, je me propose d’expliquer les diverses crises de la révolution, en même temps que j’en exposerai la marche. Nous verrons par la faute de