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911 APPENDICES AU DICTIONNAIRE DES SCIENCES OCCULTES. 912


Dieu, parce qu’il ne peut pas croire qu’il y en ait deux, l’un bon et l’autre mauvais mais je crois, ajoute-t-il, qu’on peut les appeler à bon droit dithéisles, ou qu’ils croient deux dieux (Préf. Du liv. i). Comme ce passage noircit extrêmement notre créance, je l’ai traduit mot à mot du texte, parce que le traducteur l’a corrompu par ses adoucissements ordinaires. Cette accusation que M. Bekker nous intente de faire du diable un dieu tout-puissant, fait horreur c’est cependant le fondement sur lequel il pose tout son ouvrage ; c’est l’idole qu’i veut abattre c’est en quoi consiste la force de ses preuves à peine lirezvous un chapitre, que vous n’y trouviez cette imputation.

Si cela est, notre doctrine et notre culte se contredisent évidemment. Si le diable peut connaître immédiatement le cœur de l’homme, prédire l’avenir, faire de vrais miracles, s’il a une puissance indépendante, il est certain qu’il doit être l’objet de notre culte religieux. Toutes ces choses ne peuvent être attribuées qu’à l’Etre souverain, et par conséquent il faudra que notre culte réponde à notre doctrine par la plus abominable de toutes les idolâtries. C’est cependant l’absurdité qui résultera de la doctrine que l’auteur nous impute.

Aussi voyons-nous qu’il pousse extraordinairement son accusation. Dieu selon nous, n’a rien fait dans la nature qui puisse être comparé aux œuvres que nous attribuons à ce malheureux esprit. S’il arrive quelque grand événement, nous disons tout aussitôt que le diable en est la cause nous dépouillons Dieu de la gloire qui lui appartient, pour en revêtir la plus impure de toutes les créatures. Enfin, quand nous exclurions la Providence du gouvernement de l’univers, on ne pourrait pas déclamer contre nous avec plus d’emportement et de malignité.

Mais qui a jamais cru parmi nous que le diable soit, à proprement parler, l’auteur absolu de toutes les œuvres que l’on veut que nous lui attribuons ? Quel théologien l’a jamais considéré comme une cause première et indépendante ?

Ne dites point que l’on emploie des expressions assez fortes pour donner lieu aux imputations de M. Bekker, que nous donnons au diable trop d’autorité. N’est-ce pas le lieu commun de nos prédicateurs pour intimider les vicieux ? Nos théologiens n’exagèrent-ils pas tellement son pouvoir, qu’ils nous le font concevoir comme un dieu ? Il est la cause et le directeur des orages et des tempêtes c’est lui qui allume les guerres, qui cause la famine et la mortalité il entre dans les conseils, il y préside il suggère aux hommes de mauvaises pensées ; enfin, son empire est si vaste et si absolu, qu’il exclut le Créateur. Cela parait surprenant mais c’est cependant là précisément l’idée que donneent les expressions de nos plus célèbres docteurs. Tout cela est vrai en un sens. Ce fut Satan qui entra en Judas surnommé Iscariote (Luc. xii, 3) c’est ce prince de la puissance de l’air, qui est l’esprit qui opère dans les en-

fants de rébellion (Eph. ii, 2) ; ce fut lui qui infligea à Job des plaies en ses biens et en sa personne ; c’est lui qui, ayant été meurtrier dès le commencement, rôde autour de nous comme un lion rugissant, cherchant à nous dévorer (Joan. Viii, 44 ; Petr. v, 8) enfin, il est le dieu de ce monde, qui a aveuglé les entendements des incrédules, afin que la lumière de l’Evangile de la gloire du Christ, qui est l’image de Dieu, ne leur resplendit pas (II Cor. iv, 4). Ce sont les propres termes de l’Ecriture. Je n’entreprends pas d’examiner quel est ce Satan, ce prince de la puissance de l’air ; ce meurtrier, ce lion, ce dieu de ce siècle. Mais de quelque manière que l’on explique ces passages, il est toujours constant que nous parlons avec l’Ecriture, et que s’il y a quelque chose d’outré qui ne s’accommode pas avec les conceptions de l’auteur, nous ne nous servons que des expressions que le Saint-Esprit a consacrées et ainsi toutes les objections de M. Bekker s’attachent à Dieu même, qui nous a prescrit la manière de nous exprimer à cet égard. Voilà pour ce qui concerne les termes. Venons maintenant à la chose.

Vous avez trop de pénétration pour tomber dans l’erreur des manichéens. Il y a longtemps que l’on a remarqué qu’ils ont grossièrement abusé de ces passages qui, au fond, ne donnent au diable qu’un pouvoir subalterne et une autorité de dépendance, Dieu demeurant toujours revêtu de ses prérogatives infinies.

Bien loin donc de mettre le diable sur le trône de la Divinité nous le concevons comme un esclave qui n’agit que par la permission de son maître bien loin de lui donner une puissance illimitée, nous la renfermons dans les bornes que Dieu lui a prescrites. C’est une cause subalterne qui emprunte toute sa force et sa vertu de la première cause.

Fort bien. Mais pourquoi donc ne conçoit-on pas Dieu l’auteur de toutes ces œuvres, puisqu’il en est la première cause, plutôt que le diable qui n’en est que le ministre ? Pourquoi ne dit-on pas plutôt que c’est Dieu qui punit, que c’est lui qui envoie les tempêtes, qui afflige les hommes de guerres, de famine, de mortalité ; que c’est lui seul qui sonde les reins et endurcit les cœurs, qui aveugle les yeux de l’entendement, qui donne l’esprit d’erreur ? Pourquoi faire intervenir le diable dans toutes ces choses ? Permettez-moi, Monsieur, de vous demander aussi pourquoi on dit que l’homme se meut, qu’il parle, qu’il mange, qu’il boit. C’est parler fort improprement : il n’est qu’une cause seconde, qui n’agit qu’autant que Dieu lui influe la vertu nécessaire pour agir. Car il est dans une si grande impuissance de produire de lui-même la moindre opération qu’il faut que Dieu le prévienne, le meuve et concoure dans toutes ses actions. L’homme n’est donc qu’une cause seconde, qui, étant considérée dans son néant, ne peut rien d’elle-même. Vous prétendez être bien fondé à soutenir que l’on a tort