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un autre jour, vous autres peuples d’industrie bien réglée et de commerce attentif. Ce que les peuples civilisés nomment roman, ce qui les amuse et leur plaît sous ce titre, grands coups d’épée, bizarres déguisements, comiques inventions aventures extraordinaires, extravagances surnaturelles tout cela est la vie même des peuples sauvages ou à-demi civilisés. Grâce à Dieu, le cordeau de votre civilisation rectiligne n’a pas encore tout nivelé nous ne vivons pas tous encore comme des castors dans nos tanières et le pittoresque, l’émotion, l’étrangeté, l’élan des passions, la nouveauté des couleurs, ne sont pas bannis du monde. Lorsque toutes les rues et toutes les villes du globe seront soumises à un alignement inexorable, quand le cadastre de l’humanité sera fait et accompli quand l’univers ne sera plus qu’une vaste maison de commerce lorsque l’on aura détruit, pour en faire des moellons, les vieux clochers de Westminster et les vieilles maisons chancelantes de Cologne, d’Augsbourg, de Witlemberg,je ne sais si les hommes dormiront plus doucement, si la somme de leurs jouissances sera augmentée ; mais le poète et le peintre n’auront plus qu’à renoncer à ce qui fait leur vie, aux premiers éléments du génie et de l’art.

« Quant à moi, ajoutait-il, dans mes longues excursions à travers ce globe dont toutes les latitudes me sont connues, si j’ai recueilli quelques souvenirs qui m’amusent encore, je les dois à l’Italie endormie, à l’Espagne enfiévrée au Mexique livré à ses éternelles fureurs politiques. La Sicile où nous sommes, par exemple, est un des pays du monde les plus remarquables, même aujourd’hui, par l’originalité des mœurs et des actions.

« 

A Palerme, il y a peu d’années, un marquis voulut donnera sa sœur, qui venait d’épouser le prince de V. une fête splendide. Le frère était mécontent du prince qui, ayant reçu de sa Gancée une dot considérable,avait trompé la famille par les dehors d’une fortune plus brillante que réelle. Quelle vengeance tirer de cette duperie ? Le marquis, homme fort original, imagina de transformer le repas et le bal en une longue mystification, d’assez mauvais goût si l’on veut, mais étrangement dramatique.

« Le palais du marquis resplendissait de lumières, des orangers en fleurs étaient placés sur les degrés on voyait dans le vestibule une Icngue file de domestiques, revêtus de costumes brillants tenant des torches allumées l’encens des fleurs et des parfums circulait sous les voûtes de marbre. Cet enchantement ne tarda pas à disparaître et à faire place à une magie funèbre. Les domestiques, armés de leurs flambeaux s’éva-

nouirent, et un rideau, qui retomba devant eux, n’offrit aux regards surpris des assistants qu’une fantasmagorie lugubre. C’étaient des personnages étranges, dont une illusion d’optique simulait la vie Cupidon, assis sur un coffre fort qui lui servait de char le

portrait en caricature du noble prince, une série de scènes qui rappelaient la danse des morts, et quelques figures singulières qui offraient les ressemblances burlesques des personnages les plus connus de Palerme. 11 fallait voir rétonnement des femmes, leur effroi, la colère de certains seigneurs qui ne pouvaient échapper à leur propre image. Le rideau se releva et la voûte s’éclaira de nouveau. Autre changement de décoration une lumière azurée se répand au loin : des gazes transparentes laissent apercevoir une perspective aérienne de groupes nuageux que le propriétaire habile avait empruntés à l’Opéra palermitain une foule d’amours vêtus de leur nudité classique rappellent les fantaisies de la mythologie païenne. Un peuple de nymphes accueille la fiancée, un char couvert de fleurs ombragé de pampres, la reçoit comme une triomphatrice elle s’avance ainsi, escortée d’un essaim de petits enfants qui sèment des roses. C’était un tableau de Boucher.

«Le bal s’ouvrit dans la grande salle, sous ces riants auspices. Une dépense extraordinaire et qui avait absorbé plusieurs années du revenu du marquis pouvait seule expliquer ces bizarres et magnifiques folies. On n’apercevait pas les bougies qui éclairaient le salon circulaire, théâtre du bal cachées dans l’intérieur des colonnes de cristal qui soutenaient le plafond elles versaient une lueur magique sur les groupes. Puis tout à coup, comme si le mystificateur eût voulu faire succéder la triste réalité à l’illusion riante, et les spectacles les plus disgracieux aux scènes joyeuses tout le .parquet s’abaissa à la fois, à un seul signal, au milieu du fracas, des gémissements, des murmures, qui émanaient des instruments de cuivre et des instruments de percussion on vit descendre les danseurs effrayés dans un obscur caveau, où le même artifice avait simulé les forges de Vulcain. Là le fer retentissait sous le marteau, les Cyclopes bronzés faisaient mugir le soufflet gigantesque, Vulcain lui-même, athlète difforme, saisissait de ses mains nerveuses les ardentes tenailles les femmes effrayées poussaient des cris mais toutes les issues étaient fermées et quelques minutes après l’exécution de ce changement à vue, une évolution nouvelle vint calmer le mécontentement des convives. Les compagnons de Vulcain s’éclipsent, le sol s’exhausse, la salle souterraine et ceux qui l’occupent se trouvent emportés doucement jusqu’à une galerie supérieure, ombragée de ces immenses vignes siciliennes dont les pampres servent de rideaux transparents. On s’assit autour des tables disposées sur la. terrasse. Le repas était servi avec élégance déjà l’on pardonnait à l’hôte le caprice de ces transformations. Les mets les plus rares et les plus exquis couvraient les tables de marbre tous les sens étaient flattés et le sourire renaissait sur les lèvres. Lorsqu’il fat question d’attaquer chacun des plats la bonne humeur et l’espérance se transformèrent en étonnement. Un superbe pâté auquel le couteau commençait à faire une