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INTRODUCTION.


Introduction leur complète insuffisance ; nous ajouterons seulement deux courtes réflexions : la première, c’est que cette voie est impraticable pour la plupart des hommes, que le défaut d’intelligence ou les besoins ordinaires de la vie rendent incapables de méditation ; la seconde, c’est que quand bien même les philosophes seraient jamais parvenus, à force de recherches à dresser un Code de morale, ils auraient manqué de l’autorité suffisante pour l’imposer à leurs semblables. Quel est l’homme en effet qui consentirait jamais à enchaîner lui-même sa liberté s’il n’était persuadé par une voie quelconque qu’il regarde comme sûre, que les préceptes de morale qui lui sont proposés émanent de l’autorité de celui dont il a tout à craindre ou à espérer ? Au surplus, comment et sous la présidence de qui pourrait s’effectuer une association centrale de philosophes moralistes ? Quelle pourrait être la règle du choix des préceptes ? Qui est-ce qui les expliquerait et en ferait l’application aux cas innombrables, qui, vu la liberté humaine se présentent sous toutes les formes et se compliquent tous les jours de plus en plus ? Il est donc bien évident que tout enseignement naturel de morale pour la direction de la conscience est aussi impossible que l’est l’institution elle-même d’une morale purement philosophique.

Maintenant que nous avons démontré directement la gratuité et l’impossibilité de l’établissement de principes-règles de la conscience par une prétendue induction rationnelle, nous allons jeter un coup d’œil critique sur les principaux systèmes qu’a enfantés l’école rationaliste moderne, pour moraliser sans le secours de la révélation. Tout le monde sait que le père de cette école est Emmanuel Kant, philosophe allemand, qui, après avoir contesté la puissance de la raison spéculative, dans sa Critique de la raison pure, a eu la ridicule prétention d’arriver, au moyen de sa Théorie de la raison pratique, à tous les résultats de la morale commune. Il finit précisément par où il aurait dû commencer, et il commence par où il aurait dû finir s’il eût procédé par analyse. Mais il est évident qu’il a pris pour point de départ et pour guide la synthèse chrétienne, sans s’embarrasser des contradictions sans nombre qui s’offraient sur son passage, dans la direction du but qu’il s’était proposé. C’est en vain qu’il cherche à rentrer dans le monde nouménal ou des réalités, après avoir consacré l’idéalisme absolu : il prétend se considérer sous le rapport fondamental du mot (de lui-même) indépendamment de l’espace et du temps, comme si cette considération n’avait pas nécessairement lieu dans le temps dont les diverses parties sont intimement liées avec les modifications successives de l’âme, qui ont et commencement et fin, outre qu’elles ont entre elles un ordre qui n’est appréciable que dans le temps. Que d’efforts inutiles ne fait-il pas pour parvenir à la réalité de son âme et de ses opérations ? Son imagination malade accouche


enfin de la liberté ; il croit être sauvé au moyen de cet enthymème : L’homme est libre, donc une morale est possible, et l’homme en trouvera les règles dans sa conscience. » Nous avons démontré ci-dessus l’absurdité de la conséquence, et nous continuons de demander sur quels principes seront basées ces règles, prétendu fruit de la conscience, dont elles doivent être la racine. Il nous parle de la double tendance et à être heureux et à être vertueux. Mais qui lui adonné l’idée de vertu ? Il compare le choix de l’épicurien à celui du stoïcien, sans prendre garde que la satisfaction physique de l’un n’est pas plus douce et ne rend pas plus heureux que la satisfaction orgueilleuse de l’autre. Il veut que l’on reconnaisse, en l’étudiant, que le besoin d’être heureux doive être subordonné au précepte d’être vertueux. Mais en quoi consiste ce précepte d’être vertueux ? Quels en sont la nature, l’origine et l’objet ? Quelle en sera la sanction ? Cette subordination, ajoute-t-il, est commandée sous peine d’encourir le double mépris de soi-même et des autres. Nous demanderons encore sur quels principes sera fondée cette double appréciation. Après avoir fait observer suffisamment l’insuffisance des prémisses, nous pouvons nous abstenir de qualifier la conclusion de notre philosophe à l’impératif catégorique, et la rencontre du devoir, qui est la soumission à cet impératif. Il convenait de donner à la morale un but quelconque. Mais on ne le cherchera pas bien loin ; car on établit que la raison doit être son but à elle-même. Comme si l’homme pouvait agir sans aucun motif de crainte ou d’espérance ! Voilà un quiétisme d’un nouveau genre ! On y trouvera, non un excès de l’amour divin, mais seulement un défaut absolu et contre nature de l’amour de soi-même. Le philosophe allemand n’a pas été plus heureux dans l’établissement de la morale sociale que dans celui de la morale individuelle. Agis de telle sorte, se dit-il, que le motif prochain ou la maxime de ta volonté puisse devenir une règle universelle, dans la législation de tous les êtres raisonnables. Mais de quelle sorte faudra-t-il agir ? Comment l’impératif catégorique sera-t-il assez puissant pour porter l’homme à respecter, en dépit de ses intérêts actuels, la personne et le bien de son semblable ? La société, dans l’hypothèse des rationalistes, aurait-elle même été possible ? On nous répond que l’homme, pour se déterminer au devoir, a cette loi intérieure : L’homme n’est digne de bonheur qu’autant qu’il fait son devoir ; le vice est digne de punition, loi souvent démentie dans le monde phénoménal et ne pouvant recevoir son accomplissement que dans le monde nouménal d’où l’on conclut l’immortalité de l’âme, les peines et les récompenses d’une vie future, la nécessité d’un juge suprême d’une sagesse infinie, enfin l’existence de Dieu. Cette loi est féconde en résultats, mais quels en sont les éléments constitutifs ? Nous avons vu qu’il est impossible d’arriver, dans le système que nous combattons, à la no-