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semble aujourd’hui lui fournir son seul rempart, en attendant qu’il l’ensevelisse. Je pensais aux prophéties, et je recherchais dans ma mémoire quelques-unes des éloquentes menaces que le souffle divin avait inspirées à Ezéchiel. Je ne les retrouvai pas en paroles, mais je tes retrouvai dans la déplorable réalité que j’avais sous tes yeux. Quelques vers de moi jetés au hasard en partant de la France pour visiter l’Orient, remontaient seuls dans ma pensée : Je n’ai pas entendu sous les cèdres antiques, Les cris des nations monter et retentir, Ni vu du noir Liban les aigles prophétiques Descendre au doigt de Dieu sur les palais de Tyr. » J’avais devant moi le noir Liban ; mais l’imagination m’a trompé, me disais-jeà moimême : je ne vois ni les aigles ni les vautours qui devaient, pour accomplir les prophéties, descendre sans cesse des montagnes, pour dévorer toujours ce cadavre de ville réprouvée de Dieu et ennemie de son peuple. Au moment où je faisais cette réflexion, quelque chose de grand, de bizarre, d’immobile, parut à notre gauche, au sommet d’un rocher à pic qui s’avance en cet endroit dans la plaine jusque sur la route des caravanes. Cela ressemblait à cinq statues de pierres noires, posées sur le rochercomme surunpiédestal ; mais à quelques mouvements presque insensibles de ces figures colossales, nous crûmes, en approchant, que c’étaient cinq Arabes bédouins, vêlus de leurs sacs de poil de chèvre noire, qui nous regardaient passer du haut de ce monticule. Enfin, quand nous ne fûmes qu’à une cinquantaine de pas du mamelon, nous vîmes une de ces cinq figures ouvrir de larges ailes et les battre contre ses flancs, avec un bruit semblable à celui d’une voile qu’on déploie au vent. Nous reconnûmes cinq aigles de la plus grande race que j’aie jamais vue sur les Alpes, ou enchaînés dans les ménageries de nos villes. Ils ne s’envolèrent point, ils ne s’émurent point à notre approche : posés comme des rois de ce désert sur tes bords du rocher, ils regardaient Tyr comme une curée qui leur appartenait, et où ils allaient retourner. Ils semblaient la posséder de droit divin ; instruments d’un ordre qu’ils exécutaient, d’une vengeance prophétique qu’ils avaient mission d’accomplir envers les hommes et malgré les hommes. Je ne pouvais me lasser de contempler cette prophétie en action, ce merveilleux accomplissement des menaces divines, dont le hasard nous rendait témoins. Jamais rien de plus surnaturel n’avait si vivement frappé mes yeux et mon esprit, et il me fallait un effort de ma raison pour ne pas voir, derrière les cinq aigles gigantesques, la grande et terrible figure du poëte des vengeances, d’Ezéchiel, s’étevanl au-dessus d’eux et leur montrant de l’œil et du doigt la ville que Dieu leur donnait à dévorer, pendant que le vent de la colère divine agitait les flots de sa barbe blanche, et que le feu du courroux céleste brillait dans ses yeux de prophète. Nous nous arrêtâmes à quarante pas : les aigles ne firent que tourner dédaigneusement la tête pour nous regarder aussi : enfin deux d’entre nous se détachèrent de la caravane et coururent au galop, leurs fusils à la main, jusqu’au pied même du rocher ; ils ne fuirent pas encore. — Quelques coups de fusil à balle les firent s’envoler lourdement, mais ils revinrent d’eux-mêmes au feu, et planèrent longtemps sur nos têtes, sans être atteints par nos balles, comme s’ils nous avaient dit : Vous ne nous pouvez rien, nous sommes les aigles de Dieu. » Je reconnus alors que l’imagination poétique m’avait révélé les aigles de Tyr moins vrais, moins beaux et moins surnaturels encore qu’ils n’étaient, et qu’il y a dans le mens divinior des poëtes, même les plus obscurs, quelque chose de cet instinct divinateur et prophétique qui dit la vérité sans la savoir. » Nous arrivâmes à’midi, aprèsune marche de sept heures, au milieu de la plaine de Tyr, à un endroit nommé les Puits de Salomon. » Parti à cinq heures des Puits de Salomon ; — marché deux heures dans la plaine de Tyr ; — arrivé à la nuit au pied d’une haute montagne à pic sur la mer et qui forme le cap ou Raz-el-Abiad ; la lune se levait audessus du sommet noir du Liban, à notre gauche, et pas assez haut encore peut éclairer ses flancs ; elle tombait, en nous laissant dans l’ombre, sur d’immenses quartiers de rochers blancs où sa lumière éclatait comme une flamme sur du marbre ; — ces roches, jetées jusqu’au milieu des vagues, brisaient leur écume étincelante, qui jaillissait presque jusqu’à nous ; le bruit sourd et périodique de la lame contre le cap retentissait seul et ébranlait à chaque Coup la corniche étroite où nous marchions suspendus sur le précipice ; au loin, la mer brillait comme une immense nappe d’argent, et, çà et là, quelque cap sombre s’avançait dans son sein, ou quelque antre profond pénétrait dans les flancs déchirés de la montagne ; la plaine de Tyr s’étendait derrière nous ; on la distinguait encore confusément aux franges de sable jaune et doré qui dessinaient ses contours entre la mer et la terre ; l’ombre de Tyr se montrait à l’extrémité d’un promontoire, et le hasard, sans doute, avait seul allumé une clarté sur ses ruines, qu’on eût prise de loin pour un phare ; mais c’était le phare de sa solitude et de son abandon, qui ne guidait aucun navire, qui n’éclairait que nos yeux et n’appelait qu’un regard de @ pitié sur des ruines. Cette route sur le précipice, avec tous les accidents variés, sublimes, solennels, de la nuit, de la lune, de la mer et des abîmes, dura environ une heure, — une des heures les plus fortement notées dans ma mémoire, que Dieu m’ait permis de contempler sur sa terre 1 sublime porte pour entrer le lendemain dans le sol des miracles 1 dans cette terre du témoignage, tout imprimée encore des traces de l’ancien et du nouveau commerce entre Dieu et l’homme. » [VoyezKEITH, Accomplissement desprophé