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Le Comte prétendait qu’il aurait arraché
L’épieu, mais que Thadée avait tout empêché.
Celui-ci répliquait que, plus fort que le Comte,
Et se croyant la main plus habile et plus prompte,
Il voulait lui sauver la vie. Ainsi tous deux
Se taquinaient parmi le cortège joyeux.

Au milieu des chasseurs le Woïski tient sa place ;
Il est étrangement émoustillé, loquace.
Pour terminer gaîment toute discussion,
Il renoua le fil de sa narration.
« Assesseur, si j’ai dit que vous et le Notaire
Pouviez vous provoquer, ce n’était point pour faire
Couler le sang… Oh ! non ! Je voulais seulement
Donner à ces Messieurs un divertissement,
Renouveler un tour qu’en dix-sept cent soixante
J’imaginai jadis. La chose est amusante.
Vous ne la savez pas, vous autres, jeunes gens.
Mais elle était célèbre en tous lieux de mon temps.

Domeïko ! Doweïko ! Ces deux noms si semblables
A leurs deux possesseurs jouaient des tours pendables.
Rien de plus incommode ! Aux diétines parfois
Quelqu’un pour Doweïko racollait-il des voix,
Votez pour Doweïko » disait-il à son homme.
L’autre n’entend pas bien : c’est Domeïko qu’il nomme.
A table, un jour, le vieux maréchal Rupeïko
Veut boire à Doweïko ; d’autres crient : Domeïko !
Et, le désordre aidant, plus d’un joyeux convive
Sans distinguer les noms criait : « Bravo qu’il vive ! »

Bien mieux, un jour, en ville, un noble un peu lancé
Provoqua Domeïko, mais fut deux fois blessé.
Plus tard, rentrant chez lui par le bac, le brave homme
Rencontre Doweïko par hasard et le somme,
Tandis qu’ils traversaient tous deux la Wileïko,[1]
De lui dire son nom. — « Mon nom ? c’est Doweïko. » —
L’autre de sa pelisse a tiré sa rapière :
Flic ! flac ! mon Doweïko reçoit pour son confrère.
Et ne fallut-il pas pour comble de malheur
Qu’à la chasse on plaçât l’un et l’autre seigneur
L’un près de l’autre ; et que, menacés par sa course,
Ensemble ils fissent feu tous deux sur la même ourse.
Notre ourse s’abattit, il est vrai, de ce coup,

  1. Exactement la Wileïka, affluent de la Willia.