Page:Mickiewicz - Thadée Soplitza, trad. Gasztowtt.pdf/94

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 84 —

Qu’il joue et c’est l’écho de la forêt voisine.
Les arbres sont autant de cors au son vainqueur
Se transmettant le chant comme de chœur en chœur.
La musique, toujours plus large et plus lointaine,
Devenant par degrés plus calme et plus sereine,
Enfin au seuil des cieux va se perdre là-bas !…

Le Woïski de son cor détachant ses deux bras,
Les baisse ; le cor tombe et pend à sa courroie
Flottante. Le vieillard, tout rayonnant de joie,
Se tient les yeux levés, plein d’inspiration :
Son oreille recueille encor le dernier son.
Alors de toutes parts les chasseurs applaudissent,
Et sans fin, les bravos, les vivats retentissent.
Le silence bientôt s’est fait : de tous côtés
Sur l’ours agonisant les yeux se sont portés.
Il est là tout sanglant, la poitrine trouée ;
Aux poils noirs de ses flancs l’herbe semble nouée ;
Il étend largement ses pattes de devant ;
Il souffle et ses naseaux versent des flots de sang.
Il ouvre encor les yeux, mais sans bouger la tête.
Les chiens du Président s’acharnent sur la bête :
A gauche Strapczyna la presse, et l’on peut voir
Sprawnik à droite aussi s’abreuvant de sang noir.

Entre les dents des chiens il faut qu’on introduise
Une barre de fer avant qu’ils lâchent prise.
Les crosses des chasseurs tournent l’ours sur le dos,
Et trois vivats des bois réveillent les échos.

— « Eh bien, dit l’assesseur, en brandissant son arme,
Et mon petit fusil ? N’est-ce pas un vrai charme ?
Hein ? mon petit fusil ! Ce n’est pas un géant,
Mais quel travail il fait ! D’ailleurs, quoi d’étonnant ?
Il n’a jamais manqué son coup : c’est son usage.
« Le prince Sanguszko jadis m’en fit hommage. »
Il montrait ce fusil d’un travail merveilleux,
Et faisait admirer ce bijou précieux.
— « Et moi, dit le Notaire (il halète et s’essuie)
Je courais après l’ours, quand le Woïski me crie :
En place ! en place ! » Bah ! L’ours galopait toujours…
Un vrai lièvre… Il allait !… Ah c’est le roi des ours.
Je perds haleine, moi : l’atteindre est impossible.
Je regarde… Il bondit… Mais je le prends pour cible ;
A travers le taillis je vise : attends, brigand