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L’ingénieux Robak, voyant se dévoyer
L’entretien, le ramène alors à son foyer,
Sa tabatière ; il offre, on prise, on éternue,
On crie : « à vos souhaits ! » Et Robak continue :
« Quand l’Empereur bataille et qu’il prend du tabac,
C’est signe de l’issue heureuse du combat.
Par exemple, Austerlitz. — Voici l’artillerie
Française… L’ennemi l’attaque avec furie.
Lui, regarde et se tait : chaque coup de canon
De Russes effrayés renverse un escadron.
L’empereur en prisant les voit tomber de selle :
Chaque escadron qui tombe, une prise nouvelle.
Alexandre à la fin, son frère Constantin
Et l’empereur François y perdent leur latin.
Ils détalent : et lui, certain de son affaire,
Les regarde, et, riant, ferme sa tabatière.
Si l ’un de vous, Messieurs, sert jamais avec lui,
Qu’il se rappelle bien mon récit d’aujourd’hui. »
— « Ah ! cria Skoluba, serez-vous bon prophète ?

On prédit les Français ici pour chaque fête
De l’almanach ; aussi, ne demandant pas mieux,
Nous regardons venir à nous crever les yeux…
Rien ne vient : et toujours le Russe et la Russie !
Eh nous serons tous morts, quand viendra ce Messie[1].
............
— « Se plaindre, dit Robak, est œuvre de commère,
Et se croiser les bras, attendre sans rien faire,
Est œuvre d’aubergiste et de Juif. Beau succès
D’être vainqueur du Russe à l’aide des Français !
Ils ont déjà trois fois étrillé les Souabes,
Écrasé ces affreux Prussiens, jeté ces crabes
D’Anglais à l’eau, le Russe à son tour sautera.
Mais de cela voici ce qui résultera :
Nos bons Lithuaniens feront le diable à quatre
Quand il ne restera plus personne à combattre,
Napoléon vainqueur, ses ennemis à bas,
Dira : « qui sont ceux-ci ? Je ne vous connais pas ! »
Ce n’est pas tout d’attendre un hôte qu’on invite ;
Il faut lui préparer et la table et le gîte.
Il faut que le logis soit d’abord nettoyé,
Oui nettoyé, vous dis-je, enfants, et balayé ! »

  1. En polonais cette idée est rendue par le proverbe : « Avant que le soleil se lève la rosée nous aura rongé les yeux. »