Page:Mickiewicz - Thadée Soplitza, trad. Gasztowtt.pdf/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 30 —

On dit qu’aux Soplitza (ces propos sont-ils vrais ?)
Vous cédez le château pour éviter des frais !
Tout le district répète un bruit si peu croyable… »
Et de son cœur s’exhale un soupir pitoyable.

— « C’est vrai, reprit le Comte, et les frais et l’ennui
Me poussent à finir ce procès aujourd’hui.
Le Juge trop longtemps me tient sur cette piste :
Je suis à bout ; ma foi, tant pis, je me désiste.
J’accepte des jurés les bases d’un accord… »
— « Un accord, s’écria Gervais ; plutôt la mort !
Avec les Soplitza, mon maître !… » Et son visage
Grimaçait d’épouvante à son propre langage.
« Accord et Soplitza ! C’est pour rire, je gage !
Quoi ? Vous le céderiez ! Le château que voilà,
Celui des Horeszko, serait aux Soplitza !
Entrez dans le manoir : de grâce, venez ça !
Descendez de cheval. Je vous ferai comprendre.
Venez vite… » Il lui tient l’étrier pour descendre.

Ils montent… Et d’abord, s’arrêtant sur le seuil,
« Ici, reprend Gervais, souvent dans son fauteuil
Le maître après dîner causait avec ses hôtes,
Mettait ses gens d’accord, les blâmait de leurs fautes ;
Puis, lui-même disait quelque conte plaisant.
On riait aux éclats d’un récit amusant :
Dans la cour cependant on voyait la jeunesse
Monter les chevaux turcs ou disputer d’adresse. »

Ils entrent… £t Gervais : « Ce vestibule est grand :
Que de dalles ! Mais baste, il n’en a pas autant
Qu’on n’y vit autrefois défoncer de barriques !
Les jours de grande chasse ou de fêtes publiques
Les nobles, de la cave à ce grand corridor,
Remorquaient les tonneaux sur leurs ceintures d’or.
Pendant tous les repas, de cette galerie
Un orchestre complet jouait avec furie.
Quand on portait un toast, les trompettes sonnaient.
Voici quel était l’ordre où les toasts revenaient :
C’est au Roi tout d’abord que le premier s’adresse ;
Après vient le Primat, la Reine, la Noblesse ;
Enfin la République elle même et les Lois.
Puis, les verres vidés pour la cinquième fois,
Vient le toast : « aimons-nous ! » Et l’on buvait encore,
Et les vivats duraient du soir jusqu’à l’aurore.