Page:Mickiewicz - Thadée Soplitza, trad. Gasztowtt.pdf/255

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 245 —

(Jankiel laissa huit mois son auberge fermée ;
Il vient de revenir avec la grande armée).
Tout le monde sait bien que sur cet instrument
Nul ne peut égaler son goût et son talent.
Voici le tympanon ; on l’engage, on le presse.
Il s’en défend : ses mains ont perdu leur souplesse,
Il ne sait plus, il n’ose ; il est intimidé ;
Il s’incline et veut fuir. Zosia l’a regardé :
Elle accourt ; d’une main elle lui tend, pressante,
Les archets ; l’autre main se glisse caressante
Dans les plis de sa barbe ; et, tout en lui faisant
Un salut : « Bon Jankiel, soyez plus complaisant, »
Dit-elle ; « ces Messieurs ne sont pas si féroces,
Et vous m’aviez promis de jouer à mes noces. »

Jankiel aimait beaucoup Zosia : pour ce grand jour
Il consent, on l’amène au milieu de la cour ;
On apporte une chaise, il s’assied. Puis on place
Le tympanon sur ses genoux. Son œil l’embrasse
Avec orgueil et joie. Ainsi le vieux soldat,
Lorsqu’un ordre soudain le rappelle au combat,
Rit, quand son petit fils décroche à la muraille
Son glaive impatient de revoir la bataille.

Deux enfants, à genoux auprès du tympanon,
L’accordent, et tout bas en écoutent le son.
Jankiel, les yeux fermés, attend. Ses doigts tranquilles
Soulèvent lentement les archets immobiles.

Il les baisse. D’abord c’est un chant triomphant,
Puis le bruit saccadé de la pluie et du vent.
Tous s’étonnent. Ce n’est qu’un essai, qu’il arrête
Aussitôt, en levant l’une et l’autre baguette.

Il joue. Et chaque archet, au mouvement léger,
Semble une aile de mouche ayant peur de toucher
Les cordes, dont le bruit se fait à peine entendre.
Jankiel, levant la tête au ciel, semblait attendre
Une inspiration. Il a baissé les yeux.
Dans ses mains les archets sont retombés tous deux.
On écoute étonné.

On écoute étonné. Des cordes frémissantes
Le son part… On dirait les clochettes bruyantes
Des Turcs et leur triangle et leur gai tambourin.