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Le banquet villageois se termine ; on commence,
En buvant, à chanter déjà des airs de danse.
On va chercher Thadée. Il causait à l’écart,
Et de ses grands projets à Zosia faisait part :

Donnez-moi votre avis sur une chose grave.
Mon oncle consulté n’y met aucune entrave.
Vous savez que les biens que je vais posséder,
C’est à vous que la loi devrait tous les céder.
Tous mes serfs sont à vous ; à vous donc je m’adresse :
Je ne puis rien sans vous, leur unique maîtresse.
La Pologne étant libre, il serait généreux
De faire aux paysans un sort moins malheureux :
Que ce grand jour pour nous soit un grand jour pour eux !
Ils ont jusqu’à présent eu toujours un bon maître ;
Mais après notre mort tout changera peut-être.
Je suis soldat, et puis chacun meurt à son tour :
Je suis homme, et d’avis je puis changer un jour.
Le mieux est d’abdiquer sur eux tout privilège.
Je renonce à mes droits : que la loi les protège.
Libres, assurons-leur aussi leur liberté.
Que le sol de leurs champs soit leur propriété.
Ils y sont nés ; ils l’ont conquis par leur tendresse
Et leur travail, qui donne à tous pain et richesse.
Mais sachez qu’en cédant la terre aux villageois,
Nous nous appauvrissons. Vous avez donc le choix.
Moi, je n’ai jamais eu qu’une modeste aisance.
Mais vous êtes, Zosia, de plus haute naissance,
Et vous avez connu le monde et ses plaisirs.
Pourrez-vous vivre ici bornant tous vos désirs
Au ménage ?… »

Au ménage ?… » Zosia dit avec modestie :
Je ne suis qu’une femme ; en vous seul je me fie.
Vous serez mon mari, mon maître et mon tuteur.
Agissez ; quant à moi, j’accepte de grand cœur.
Nous aurons, dites-vous, moins d’argent en partage :
Nous nous en aimerons encore davantage.
Pour ma haute naissance, elle m’importe peu.
J’étais abandonnée à la grâce de Dieu,
Lorsque les Soplitza, m’adoptant pour leur fille,
M’ont élevée : ils sont mon unique famille.
J’aime les champs. La ville où j’ai vécu longtemps
Ne me dit rien ; toujours j’ai préféré les champs.
Croyez-moi ; j’aime mieux mes coqs et mes poulettes