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Dąbrowski tout à coup dit à Maciej : « Eh bien ?
Vous avez l’air tout triste et vous ne dites rien !
Vous ne croyez donc pas encore à la revanche ?
N’aimez-vous pas à voir l’aigle d’or, l’aigle blanche
Bondir ensemble au son de nos chants polonais ?
C’est à peine à mon tour si je vous reconnais.
Si vous nous refusez de partir pour la guerre,
Criez donc avec nous en levant votre verre :
Hourra pour la Pologne ! » et « Vive l’Empereur ! »

Hé ! dit Maciej, j’entends, je vois tout ; mais j’ai peur.
Deux aigles dans un nid, c’est trop d’un, je vous jure.
Général, la faveur des rois n’est jamais sûre.
L’Empereur est un grand héros, mais c’est égal !
Les Puławski jadis me disaient, général,
En voyant Dumouliez[1] et sa triste besogne,
Que c’est un Polonais qu’il faut à la Pologne,
Non pas un Italien, un Corse, mais un chef
Qui sorte de chez nous : Jean, Maciej ou Joseph.
Quant à l’armée, elle est, dites-vous, polonaise !
Fusiliers, grenadiers, sapeurs !... Ne vous déplaise,
C’est du haut allemand pour moi que ces noms-là.
Vous avez des Tatars, des Turcs, des schismatiques,
Tout ce que vous voudrez, sauf de bons catholiques.
J’ai vu qu’ils attaquaient les femmes dans les champs,
Dépouillaient les autels, rançonnaient les passants.
C’est à Moscou que va l’Empereur… Long voyage !
Et prendre Dieu pour guide en partant, serait sage.
Et lui tout simplement met le pape en prison !
Tout cela… » Puis, trempant son pain dans son bouillon,
Maciej, sans achever sa phrase, rêve… et mange.

Le Président trouva ce discours fort étrange.
Un murmure naissant s’apaisa brusquement,
Car le troisième couple entrait à ce moment.

Le Régent se nomma, précaution louable !
Car en cet attirail il est méconnaissable :
Télimène a voulu, par clause du contrat,
Qu’il laissât le Kontusz et prît l’habit de drap.[2]

  1. On reconnaît sous le travestissement dont l’affuble Maciej le fameux Dumouriez dont le rôle dans la confédération de Bar fut d’ailleurs loin d’être glorieux.
  2. La mode de l’habillement français avait pénétré dans nos provinces de 1800 à 1812. La plupart des jeunes gens changeaient leur costume avant leur mariage à la demande de leurs fiancée. (Note de l’auteur).