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Ce bouillon rend plus pur le sang qu’il fortifie.
Mais de nommer ces plats en vain j’aurais l’envie.
De notre temps hélas ! on ne les connaît pas
Ces antiques kontuz[1], ces blemas, ces arkas[2],
Et leurs ingrédients divers, ces figatelles[3],
Ces gommes et ces muscs, ces pinels[4], ces brunelles[5],
Et ces poissons : saumons secs et danubiens,
Et ces fameux caviars turcs et vénitiens,
Et ces demi-brochets, et ces brochets d’une aune,
Tanches et maquereaux, carpes au reflet jaune ;
Enfin le grand secret, le chef-d’œuvre : un poisson
Non coupé, qui subit une triple cuisson :
Corps rôti, tête frite, et queue au court bouillon.

Tous, sans approfondir ces secrets culinaires,
Sans demander vos noms, mets extraordinaires,
Mangeaient en vrais soldats, en arrosant le tout
D’excellent vin hongrois qu’ils buvaient coup sur coup.

Cependant le service alors change de face[6] :
La neige à la verdure en tous lieux a fait place.
Sous la lente action d’une tiède chaleur
Le sucre, se fondant et perdant sa couleur,
A mis à nu le fond jusqu’alors invisible ;
Et l’on voit par degrés, changement insensible,
Tout vert et tout fleuri paraître le printemps :
Les blés poussent partout radieux, éclatants !
D’un froment safrané l’épi doré s’élance,
Et le seigle argenté mollement se balance ;
Lâ, c’est du sarrazin formé de chocolat ;
Là d’un verger en fleurs on admire l’éclat.

Mais les dons de l’été s’envolent comme un songe.
Au Woïski l’on demande en vain qu’il les prolonge.

  1. Espèce de saucisson ou bien jus de veau.
  2. Plat froid fait de lait, de crème et de jaunes d’œufs.
  3. Farces ou boulettes de viande de veau.
  4. Graines de pommes de pin.
  5. En polonais brunele : ce sont des pruneaux français de la ville de Brignole. Le poète ajoute les pomuchle (poissons de la Prusse polonaise), le cybet, les draganty, (sucreries particulières).
  6. Durant le XVIe siècle et au commencement du XVIIe, a l’époque où florissaient les arts, les banquets même étaient réglés par des artistes, et remplis de symboles et d’artifices de théâtre. Au célèbre festin, donné à Rome en l’honneur de Léon X, se trouvait un service qui représentait successivement les quatre saisons de l’année, et qui servit sans doute de modèle pour celui des Radziwiłł, Le luxe de la table se transforma en Europe vers le milieu du XVIIIe siècle ; il resta le même en Pologne beaucoup plus longtemps. (Note de l’auteur).