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A chaque pas, le bœuf, puis la herse s’arrête :
L’homme vers l’Occident tourne en tremblant la tête.
De ce côté sans doute il attend — l’inconnu.
Il consulte inquiet chaque oiseau revenu.

Pin natal, la cigogne a volé vers tes branches,
Où, drapeau du printemps, s’ouvrent ses ailes blanches.
Arrivant à leur tour, escadron voletant,
Les hirondelles vont et viennent sur l’étang
Et pillent pour leur nid la boue où fond la glace.
Le soir, dans la broussaille, on entend la bécasse ;
Des bandes de canards sauvages, dans la nuit,
Vers leur nid retrouvé s’abattent avec bruit ;
Là-haut, au fond du ciel, toujours pleurent les grues ;
Et les veilleurs de nuit, en regardant les nues,
Se demandent : d’où vient ce trouble des oiseaux ?
Qui donc les met en fuite ?

Qui donc les met en fuite ? En voici de nouveaux.
Quels sont-ils ? On dirait des bouvreuils, des outardes,
Des étourneaux ; plumets, banderoles, cocardes
Descendent des hauteurs jusqu’au fond du vallon.
C’est la cavalerie, étrange vision !
Que d’escadrons ! Au centre, avalanche vivante,
Fond le long des chemins une masse mouvante ;
Des bois noirs le shako, la baïonnette sort ;
Ce sont les fantassins. Tous marchent vers le Nord.

Vous diriez qu’aux oiseaux que le printemps ramène[1]
Les peuples se sont joints, migration humaine,
Poussés par un étrange, un invincible amour.
Chevaux, hommes, canons, vont sans fin, nuit et jour.
De rougeâtres lueurs le ciel parfois s’éclaire ;
La terre tremble ; au loin l’on entend le tonnerre.

Guerre, guerre ! Il n’est pas de coin si retiré
Qui n’ait senti, ton choc. Dans le fond du fourré
Le pauvre forestier, dont l’aïeul et le père
Sont morts, sans de leur bois dépasser la lisière,
Qui ne connaît de bruit résonnant dans les cieux

  1. Dans le texte, il est dit « On croirait qu’alors z wyraju avec les oiseaux… etc. Mickiewicz explique ainsi en note le sens du mot wyraj : « Wyraj, dans le langage du peuple, indique exactement la saison d’automne, époque où émigrent les oiseaux voyageurs : s’envoler au wyraj, c’est s’envoler dans les pays chauds ; d’où, métaphoriquement le peuple appelle wyraj les pays chauds, et en général on ne sait quelles contrées fabuleuses et fortunées, situées au-delà des mers ».