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« Votre nom, quand il part ?… » — « Oui », dit Robak, toujours ! »
(Et longtemps à ses pleurs il laisse un libre cours).
« Pauvre garçon ! Pourquoi le lui faire connaître,
Ce père qu’on nommait l’assassin et le traître ?
Je le voudrais, Dieu sait : mais, pour mon châtiment
Je saurai me priver de ce contentement. »
— « Alors, pensons à vous ! » dit le Juge. « Un voyage
Avec votre blessure et surtout à votre âge
Serait chose impossible : il n’y faut pas songer.
Vous savez un endroit à l’abri du danger ;
Nommez-le. Hâtons-nous, tout est prêt ; mais peut-être
Le mieux serait encor chez mon garde-champêtre. »

Robak branla la tête et dit : « Bien, je verrai
Demain. En attendant demandez le curé ;
Qu’il pense au Viatique ; il faut qu’il me l’apporte.
Sauf vous seul et Gervais, que tout le monde sorte !
Fermez tout. »

Fermez tout. » Quand le Juge a tout exécuté,
Il s’assied sur le lit : Gervais de son côté
S’approche, et, s’accoudant sur sa longue rapière,
Il penche son grand front en baissant sa paupière.

Sur Gervais tout d’abord Robak fixe ses yeux,
Et, muet, prend un air sombre et mystérieux.
Comme un chirurgien qui palpe une blessure
Avant de déchirer les chairs d’une main sûre,
Robak éteint le feu de ses regards perçants
Et longtemps sur Gervais les promène en tous sens ;
Enfin, sur désormais du coup hardi qu’il porte,
En se : couvrant les yeux il dit : d’une voix forte :
« C’est moi qui suis Jacek de Soplitzow. »

« C’est moi qui suis Jacek de Soplitzow. » Alors,
Gervais pâlit, se penche, et, la moitié du corps
Inclinée en avant, il s’arrête éperdu
Comme un roc en tombant dans les airs suspendu.
Il ouvre ses deux yeux, et sa bouche béante
Sous son poil hérissé s’avance menaçante.
De ses mains sa rapière a glissé : mais soudain
Ses genoux l’arrêtant, il prend à pleine main
La garde ; et le long bout de la noire rapière
S’agitant en tous sens s’allonge par derrière.