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Il est si pénétré des pensées qu’il exprime,
Que deux larmes soudain tombant de son œil bleu
Roulent rapidement sur son visage en feu.

Mais curieusement Zosia, de sa chambrette,
Suivait, sans perdre un mot, la séance secrète.
Quand elle entend Thadée avec simplicité
Avouer son amour, son cœur s’est agité.
De larmes aussi tôt s’argente sa paupière ;
Mais elle ne sait pas ce dont il fait mystère.
Il l’aime !… Pourquoi donc ?… Et pourquoi donc part-il ?
Elle sent qu’elle va souffrir de cet exil.
C’est qu’elle vient d’apprendre une étrange nouvelle :
Ce mot si doux : je l’aime, est tout nouveau pour elle.
Elle court à l’autel de sa chambre, elle y prend
Une image avec un reliquaire en argent.
L’image est le portrait de la sainte bergère ;[1]
L’habit de saint Joseph orne le reliquaire :
Car Joseph, est, dit-on, le saint des amoureux.
Avec ces souvenirs elle se rend vers eux :

« Vous nous quittez déjà ?… Puis-je vous faire hommage
Avant votre départ, Monsieur, de cette image
Et de ce reliquaire ? Ayez toujours sur vous
Ces deux objets : ils vous feront penser à nous.
Que Dieu de votre route écarte toute peine
« Et vers nous au plus vite en ces lieux vous ramène. »
Elle se tut, baissa la tête, et ses yeux bleus
Qu’elle a fermés, de pleurs perlent ses cils soyeux.
Zosia, les yeux fermés, laisse de sa paupière
De pleurs ou de brillants s’épandre une rivière.

Thadée a pris ses dons, et, lui baisant la main,
Il dit : « Mademoiselle, adieu ! Je pars demain…
Pensez à moi ; priez Dieu pendant ce voyage
« Pour l’absent… » Il ne put en dire davantage.

Mais, avec Télimène entrant à ce moment,
Le Comte a remarqué leur attendrissement.
Il s’émeut, et, jetant les yeux sur Télimène :
« Quelle beauté, » dit-il, « dans cette simple scène !
L’âme de la bergère et l’âme du guerrier
Sont comme deux esquifs que le vent fait plier.

  1. Ste Geneviève.