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Le jeune homme comprend que son serment l’oblige,
Et met alors un frein aux vains désirs des sens,
Ces symboles, crois-moi, Robak, sont très puissants.

Moi-même, jeune encor, j’aimais du fond de rame
Marthe Hreczech : son cœur répondait à ma flamme.
Nous étions fiancés. Dieu n’a pas couronné
Nos feux ; il m’a laissé sur terre, abandonné,
En reprenant au Ciel ma douce fiancée.
Mais sa mémoire vit toujours dans ma pensée.
Son chaste souvenir que je vénère encor
Me reste seul, hélas ! avec cet anneau d’or.
Chaque fois que je l’ai regardé, son image
S’est dressée à mes yeux ; et, grâce à ce mirage,
J’ai pu jusqu’à ce jour lui conserver ma foi,
Veuf, sans du mariage avoir connu la loi.
Et le Woïski pourtant avait une autre fille,
Qui ressemblait à Marthe, et qu’on trouvait gentille ! »
Il dit ; et, regardant cet anneau précieux,
Du revers de sa main il essuya ses yeux.

« Robak », ajouta-t-il ; « est-ce aussi ton idée ?
Tous le veulent : Zosia, Télimène et Thadée. »

Mais Thadée intervient et s’écrie avec feu :
« Mon oncle, vous comblez votre indigne neveu ;
Jamais il ne pourra vous payer cette dette.
Oui, ma félicité serait pleine et complète
Si j’étais à Zosia fiancé dès ce soir,
Et si de l’épouser un jour j’avais l’espoir.
Et pourtant, non, mon oncle. En ce moment la chose
Me paraît impossible, et pour plus d’une cause.
Il suffit. Si Zosia veut bien m’attendre, un jour
Peut-être je serai digne de son amour.
Je puis la mériter d’abord par ma constance ;
Je puis glorifier mon nom par ma vaillance ;
Et quand nous reviendrons vainqueurs des ennemis,
Alors, vus réclamant le bien qui m’est promis,
M’agenouillant devant cette enfant que j’adore,
Je lui demanderai : « M’acceptez-vous encore ? »
Je puis rester absent plus longtemps qu’on ne croit.
Et si Zosia s’éprend d’un autre, de quel droit
Voudrais-je l’enchaîner et la rendre victime
De son vœu… Non, cela me semblerait un crime. »