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Sak en lance encor douze… et le bataillon plie.
En peloton serré tous se sont entassés,
Et reculent… Baptiste achève les blessés.
La grange est déjà loin : comment battre en retraite ?
Près du mur du jardin Rykow alors se jette,
Et là, dans leur déroute il arrête ses gens.
Mais d’une autre manière il dispose leurs rangs.
Il les forme en triangle ; il allonge une pointe
Vers la cour, et la base au mur d’enceinte est jointe.
Il est temps : on signale un ennemi nouveau.

Le Comte qu’on gardait prisonnier au château,
Voyant fuir ses gardiens, met ses jockeys en selle
Et les conduit au feu. Son épée étincelle
Au-dessus de sa tête au front de l’escadron.
Rykow, qui l’aperçoit, dit : « Feu de peloton ! »
Un long cordon de feu brille sans intervalles ;
Des noirs canons dressés ont sifflé trois cents balles.
Un cavalier est mort, trois autres sont blessés.
Le Comte et son cheval sont aussi renversés.
Gervais court vite à lui… Quoi ! ces chasseurs infâmes
Vont tuer le dernier Horeszko par les femmes !
Nais non… Déjà Robak le couvre de son corps,
Reçoit les coups de feu pour lui ; d’entre les morts
Le dégage !… Il commande aux siens de se dissoudre,
De viser sûrement sans perdre ainsi leur poudre,
En se cachant derrière ou le puits ou le mur :
Plus tard les cavaliers chargeront à coup sûr.

Thadée a bien saisi ce plan, car d’un saut brusque
Derrière le vieux puits il s’élance et s’embusque.
Comme il est de sang-froid et tireur sans pareil
(Il peut atteindre au vol un ducat au soleil),
Il décime les rangs des Russes. Il ne vise
Que les chefs… Un fourrier tout d’abord agonise ;
Deux sergents coup sur coup touchés tombent encor.
C’est aux galons de laine, aux épaulettes d’or
Qu’il réserve ses coups. Tandis qu’il les canarde,
Rykow frappe du pied ; se fâche, mord la garde
De son épée, et dit : « s’il tire derechef,
Major, nous n’aurons plus bientôt le moindre chef. »

Et Plout s’écrie alors tout frémissant de rage :
« Monsieur le Polonais, ayez donc le courage
De quitter votre abri ! Poltron, battez-vous donc