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Que vos statuts ; partout on y lit : gibet, knout,
Sibérie… Oui, monsieur ; le Code militaire
Vous régit à présent ; l’autre n’a qu’à se taire.
Et, d’après le premier, de cet amusement
La Sibérie au moins sera le châtiment. »
— « J’appelle au Gouverneur en ce cas », dit le Juge.
— « Au Tzar, si vous voulez, » dit Plout : « triste refuge !
La grâce impériale agit le plus souvent
En rendant un arrêt deux fois plus dur qu’avant.
Appelez-en, Monsieur ! Mais moi, je me propose,
Monsieur, de vous mêler en personne à la chose.
Jankiel, que l’on connait pour être un espion,
Afferme votre auberge, est de votre maison.
Je devrais à l’instant vous arrêter vous-même. »
— « M’arrêter ! » dit le Juge, « ah ! l’impudence extrême ! »
Ce débat, s’animant, prenait un mauvais tour,
Lorsque l’on vit entrer des hôtes dans la cour.

Quel cortège bruyant, étrange ! On voit en tête
Un grand bélier tout noir : sur le front de la bête
Quatre cornes, dont deux semblent des arcs tournés
Autour de chaque oreille et de grelots ornés,
Et deux lancent en l’air leurs pointes menaçantes
Où des boules d’airain s’agitent frémissantes.
Suivent chèvres, brebis, bœufs, et finalement
Quatre pesants chariots avec leur chargement.

Tous du frère Quêteur ont deviné l’entrée.
Son devoir pour le Juge étant chose sacrée,
Il va le recevoir. Sur le premier chariot
Vient en effet Robak. Il ne dit pas un mot,
Mais tous l’ont reconnu : car il fait au passage
Un signe aux prisonniers en tournant son visage.
On reconnaît aussi le second conducteur,
Maciej, d’un paysan portant l’habit trompeur.
Tous allaient d’un grand cri saluer sa présence :
« Sots ! » dit-il et sa main leur imposa silence.
Du troisième chariot Prusak est voiturier,
Et Zan[1] et Mickiewicz conduisent le dernier.
Mais les Izajewicz, les Podhaïski s’agitent.
Birbasz, Wilbik, Biergiel, les Kotwicz, tous s’irritent

  1. Ce nom qu’on a déjà rencontré plusieurs fois est celui du principal ami du poète, Thomas Zan, qui fut le chef et l’inspirateur des sociétés d’étudiants de Vilna (Philarètes et Philomates) persécutées par Nowosiltzow. (Voyez la 3e partie des Aïeux (Dziady).