Page:Mickiewicz - Thadée Soplitza, trad. Gasztowtt.pdf/169

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 159 —

Si je suis avec toi ; car d’un lieu de supplices
L’amour fait, tu le sais, le séjour des délices. »

Thadée avec effort s’arrache de ses bras.
« Es-tu folle ? » dit il ; « mais tu n’y penses pas !
Me suivre ! Ou ? Quoi ? Comment ! Moi, simple volontaire,
Te traîner avec moi… comme une vivandière !
— « Marions nous », reprit Télimène. — « Jamais ! »
Cria-t-il. « Je ne veux plus penser désormais
A tout cela. Laissons tous ces enfantillages !
De grâce, calme-toi ! Soyons tous deux plus sages !
Je ne suis pas ingrat ; mais puis-je en vérité
T’épouser ?… Aimons nous… chacun de son côté.
Je ne puis plus rester ; j’obéis à mon père.
Ma Télimène, adieu ! Je cours à la frontière. »

Il dit, et, renfonçant son chapeau, sans retard
Va partir ; mais alors, l’arrêtant d’un regard,
Télimène à ses yeux, semblable à la Gorgone,
Se dresse ; en la voyant d’épouvante il frissonne…

Elle est pâle : l’horreur semble glacer son sang.
Soudain, tendant la main, comme un fer menaçant
Qui va percer le cœur d’une atteinte mortelle :
« Ah ! langue de serpent, cœur de lézard », dit-elle,
« Nous y voilà… C’est peu d’avoir pour toi, trompeur,
Dédaigné le Régent[1], le Comte et l’Assesseur ;
C’est peu de me trahir après m’avoir séduite.
Je savais, connaissant votre engeance maudite,
Que tu pourrais un jour me tromper et partir ;
Mais j’ignorais qu’ainsi tu m’oserais mentir !
Je sais tout : j’écoutais à la porte… Perfide !
C’est Zosia qu’il te faut ! Comme un vautour avide
Tu guettes cette enfant ! Séducteur odieux,
C’est une autre victime à présent que tu veux !
Je saurai, si tu fuis, t’atteindre dans ta fuite,
Et sinon, révéler à tous ton inconduite.
C’est assez d’avoir fait mon tourment, imposteur !
Va-t-en, je te méprise ! homme lâche et menteur ! »

A cette insulte qui vient frapper son oreille
(Jamais un Soplitza n’en subit de pareille),
Aussi pâle qu’un mort, Thadée a tressailli ;
De ses lèvres qu’il mord ce cri « sotte » a jailli.

  1. Rejent, c’est le mot polonais qui veut dire notaire.