Page:Mickiewicz - Thadée Soplitza, trad. Gasztowtt.pdf/162

Cette page n’a pas encore été corrigée
— 152 —

Ecoutez ce récit. « Venant de Volhynie,
Le prince général en chef de Podolie[1]
Se rendait à la diète en visitant ses biens.
En route il s’arrêtait chez nos concitoyens
Pour capter leur faveur. Il vint donc chez Thadée
Reytan, dont la mémoire est de tous regrettée,
Qui fut bientôt après notre représentant,
Et chez qui je fus mis étant encore enfant.
Reytan invita donc, pour faire honneur au prince,
Des amis : il en vint de toute la province.
Un théâtre, du prince alors fit le bonheur ;
Et du feu d’artifice un Kaszyc[2] eut l’honneur.
Tyzenhauz (2) fournit tout un ballet féerique,
Ogiński (2) des danseurs, et Soltan (2) la musique.
Tout fut à l’avenant : banquets dans la maison,
Chasses dans la forêt et gibier à foison.
Mais vous savez, messieurs, (c’est un trait de famille)
Que nul Czartoryski dans les chasses ne brille.
Tout Jagellons qu’ils sont, pour cet amusement
Ils sont froids ; ce n’est point mollesse assurément,
Mais éducation étrangère ; un bon livre
Charmait le Général plus qu’un chien qu’il faut suivre ;
Aux bois il préférait le parfum d’un boudoir.
Le prince Denassow[3], qu’à sa suite on put voir,
Jadis, prétendait-on, sur la terre africaine
Avec les rois des Noirs avait chassé la hyène,
Et tué même un tigre avec l’épieu de fer :
Ce dont ce petit prince allemand était fier.
Ce fut au sanglier qu’on fit alors la chasse.
D’une balle Reytan abattit sur la place
Une laie, en risquant ses jours, à bout portant.
Tout le monde applaudit ; nul n’en eût fait autant.
Seul le prince allemand dit en faisant la moue :
Ce coup de feu vaut-il qu’a ce point on le loue ?
L’adresse dans le tir prouve un coup d’œil hardi ;
L’épieu veut un bras ferme. » Et le voilà parti
A parler de l’Afrique ; il s’anime, il se lance,
Rappelle ses rois noirs, et son tigre et sa lance.

  1. Adam Czartoryski, fils d’Auguste et père d’Adam-Georges Czartoryski.
  2. Familles illustres de Lithuanie.
  3. Ou plutôt le prince de Nassau-Siegen, célèbre aventurier. Il fut amiral russe et battit les Turcs, puis fut lui-même défait par les Suédois. habita quelque temps la Pologne où il obtint l’indigénat. La lutte du prince de Nassau avec un tigre fit alors grand bruit dans les journaux d’Europe. Voyez : Un paladin au XVIIIe siècle. Le prince Charles de Nassau-Siegen par le marquis d’Aragon (Paris, Plon, Nourrit et Ce. 1893).