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Avec gloire et profit comme des gens de cœur !
Vous les connaissez tous. Aujourd’hui, quelle honte
C’est en vain qu’un arrêt favorise le Comte.
A ce pauvre orphelin nul ne porte secours !
L’héritier de celui qui vous aima toujours
N’a plus un seul ami ; tous fuient à tire-d’ailes.
Moi seul et mon Canif, nous lui restons fidèles. »

— « Avec mon Goupillon, dit Baptiste ; Gervais,
« Tant que je puis bénir, où tu vas, moi je vais !
« Nous sommes deux, Gervais ! Où que soit la bataille,
« Mon goupillon te suit : je bénis ; et toi, taille !
« Toi : schach mach ! Moi : « plusk, plask ![1] » Et vous, bavards, bonsoir ! »

— « Frères, vous n’allez point partir sans le Rasoir !
Dit Bartek ; vous mettez le savon, et je rase. »
— « Et moi, dit le Cruchon, que le diable m’écrase
Si je reste : on ne peut calmer ces brouillons-là.
Des boules, disent-ils : mes boules, les voilà ! »
Puis il reprit, tirant des balles de sa poche ;
« Pour le Juge ! A son nez toutes je les décoche ! »
— « Eh, cria Skoluba, nous nous joignons à vous ! »
Et les nobles criaient à tue-tête : « tous, tous ! »
« Vivent les Horeszko ! Vive Gervais mon maitre !
A bas les Soplitza ! Vengeance ! mort au traître ! »

Tous, pleins d’enthousiasme, ont pris Gervais pour chef,
Car tous contre le Juge ont quelque vieux grief.
Entre voisins toujours on a sujet de plainte :
On se dispute un arbre, une mare, une enceinte.
Les uns sont irrités, les autres sont jaloux
De sa richesse : bref, ils le haïssent tous.
Ils entourent Gervais, et des sabres sans nombre
Etincellent.
Etincellent. Maciej, jusque là triste, sombre,
Immobile, se lève et s’avance à pas lents
Au milieu de la salle ; et, les mains sur les flancs,
Regardant devant lui, branlant sa vieille tête,
Il parle : à chaque mot qu’il prononce, il s’arrête,
Et souligne à dessein ses paroles : « Sots, sots,
Triples sots ! Bien, allez… Mais vous paierez les pots !
Ainsi, tant qu’il s’agit de sauver la patrie,

  1. Toujours des onomatopées.