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Et pour la mode russe exprimant son horreur.
Lorsque en Prusse je sens que je me germanise,
Je vais à Soplitzow et je m’y rebaptise.
On y sent, ou y boit la patrie ! On s’en grise !
Je suis un Dobrzyński comme vous ; mais, morbleu !
Je ne permettrai pas qu’on joue un pareil jeu !
Ah ! quelle différence avec la Posnanie !
Quel accord entre eux tous, Messieurs ! Quelle harmonie !
Nul pour de pareils riens n’eût troublé le débat. »

— « Un rien, cria Gervais, de pendre un scélérat ! »

Le bruit s’accroît. Jankiel demande la parole.
Il monte sur un banc ; et sa barbe s’envole
Sur les têtes, de tous attirant le regard.
Sa main droite a levé son bonnet de renard,
La gauche a redressé sa calotte penchée,
Ensuite à sa ceinture elle s’est accrochée ;
Puis il salue et dit, prenant un air naïf :

— « Hé ! Messieurs de Dobrzyn, moi je ne suis qu’un Juif !
Le Juge ne m’est rien ; et pourtant je l’estime
Comme étant mon seigneur et maître légitime.
J’aime aussi les Maciej, les Bartek leurs cousins,
Comme mes bons amis, comme mes bons voisins ;
Et je dis : vous voulez violenter le Juge ?
C’est un tort ; tout cela peut faire du grabuge,
Amener l’assesseur, le sprawnik, la prison.
Soplitzowo contient toute une garnison
De jœgers… L’Assesseur est là ; qu’il fasse un geste,
Il se mettent en marche… Et… vous savez le reste.
A quoi bon s’exposer ainsi ? Quant aux Français,
Si vous les attendez, ils sont loin, je le sais.
Un bon juif comme moi ne comprend rien aux guerres ;
Mais j’ai dans Bielica vu des juifs des frontières,
Qui m’ont dit : « les Français sont sur la Lososna ;
Et ce n’est qu’au printemps qu’ils marchent sur Vilna. »
Attendez ; Soplitzow n’est pas un étalage
Qu’on monte, qu’on démonte, et que l’on déménage
A l’instant. Au printemps il sera tout entier.
Et le Juge n’est pas un juif cabaretier
Prêt à lever le pied. Que risquez vous d’attendre ?
Il faut vous séparer et ne pas trop répandre
Tous ces bruits, n’est-ce pas ? Pourquoi parler ? Pourquoi ?
Voulez-vous m’écouter, Messieurs ? Venez chez moi ;