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De tous ces changements vous demandez la cause ?
Peut être aimait-il trop la guerre… Étant battu
Dans un camp, vite à l’autre il disait : « Me veux-tu ? »
Peut-être agissait-il aussi par politique,
Et tournait-il au vent de la chose publique.
Qui le sait ? En tous cas, un seul fait est certain :
Il ne poursuivait pas les titres et le gain,
Et ne soutint jamais le parti moscovite.
Au seul aspect d’un Russe, il s’emporte, il s’irrite.
Depuis qu’ils sont chez nous, pour n’en pas rencontrer
Il fait l’ours[1] : nulle part il ne veut se montrer.

Sous Jasiński[2] se fit sa dernière campagne
Ogiński vers Vilna l’entraîne ; il l’accompagne :
Sa verge y fit merveille et lui s’y distingua.
Plus tard il sauta seul des remparts de Praga[3]
Pour défendre Pociej[4] qu’on laissait sur la place
Percé de vingt-trois coups… Après ce trait d’audace
On crut morts bien longtemps et Maciej et Pociej,
Mais on vit revenir et Pociej et Maciej.
Le généreux Pociej voulut après la guerre
Donner à son sauveur un honnête salaire.
Il lui fit donc offrir, pour le dédommager,
Avec mille florins cinq feux en viager.
Dobrzyński répondit : « Je veux garder l’avance.
Que Pociej ait la dette et Maciej la créance ! »
Sans accepter le bien, sans prendre un sou vaillant,
Il revint à Dobrzyn y vivre en travaillant.
Il soignait ses troupeaux, il construisait des ruches,
Aux perdrix, pour les vendre, il dressait des embûches,
Et chassait le gibier.

Et chassait le gibier. Dobrzyn ne manquait pas
De vieux hommes prudents, versés dans les débats
Du barreau, qui savaient le latin, la chicane ;
D’autres avaient du bien. Mais Maciej le profane,
Maciej le gueux était le plus considéré,
Non pas comme sabreur justement célébré,
Mais comme conseiller toujours prudent et sage,

  1. Mot à mot : « il reste chez lui comme l’ours quand il suce sa patte dans la forêt. »
  2. C’est Jasiński (v. L. I) qui souleva Vilna en 1794.
  3. Lors du fameux massacre ordonné par Souvarov.
  4. Le comte Alexandre Pociej, revenu en Lithuanie après la guerre, aidait ses compatriotes, qui se rendaient en France et donna des sommes considérables à la caisse des légions.