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Vous savez bien aussi que c’est Targowitsa
Qui de leurs biens jadis dota les Soplitza.
Hiacynthe a fait serment, pour expier ses crimes,
De les restituer aux maîtres légitimes :
C’est pourquoi de Zosia, leur dernier rejeton,
Se chargeant, il paya son éducation,
Et voudrait de Thadée en faire un jour la femme,
Pour réparer le mal que fit son acte infâme,
Et rendre à l’héritière ainsi ce qu’il lui doit… »

— « Mais moi, de me forcer Hiacynthe a-t-il le droit ?
Cria le Juge : « à peine ai-je entrevu ce frère !
« J’ai vaguement connu sa vie aventurière
« Alors que sur les bancs j’apprenais le latin,
« Et qu’ensuite j’étais page du Palatin.
« Il m’a donné ses biens ; je les ai pris ; ensuite
« Il m’a fait de Zosia confier la conduite :
« J’ai rempli ses désirs : et pourtant que d’ennui !
« Et ce Comte maudit, que veut-il aujourd’hui ?
« Lui, des droits au château ! Quel plaisant badinage !
« Qu’est-il aux Horeszko ? D’où sort ce cousinage ? [1]
« Et c’est lui qui m’insulte, et moi qui céderais ! »
— « Il s’agit, dit Robak, de plus hauts intérêts.

  • Hiacynthe, qui voulait voir son fils au service,

« Le retient parmi vous : ce n’est point par caprice.
« A la patrie ainsi ce fils servira mieux.
« Vous savez ce qu’on dit déjà presque en tous lieux,
« Ce dont moi-même ici j’ai fait longtemps mystère.
« Ecoutez : je n’ai plus de raisons de me taire.
« Oui, mon ami, la guerre est tout près d’éclater.
« La Pologne se lève et va ressusciter !
« La guerre est décidée, et, durant mon voyage,
« J’ai vu les bataillons tout prêts sur le rivage.
« Napoléon prépare un immense appareil,
« Et le monde jamais ne vit rien de pareil.
« On verra s’avancer avec l’aigle française
« Auprès de Dombrowski notre aigle polonaise !
« Ils sont prêts ; au premier mot de Napoléon,
« Ils vont nous apporter la résurrection ! »

Le Juge, en l’écoutant, retira ses lunettes ;

  1. Mot à mot: « il est aux Horeszko la dixième eau sur le kisiel. » Le kisiel est un mets lithuanien, espèce de gelée qui se fait avec de l’avoine, et qu’on délaie avec de l’eau jusqu’à ce que toutes les parties farineuses en soient extraites : de là ce proverbe intraduisible.