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Jusqu’aux mouches, tout dort. Donc, jetant sa palette,
Le Woïski déserta cette maison muette ;
Il va dans la cuisine écouter les jurons
Du cuisinier rageur et les cris des mitrons :
Bientôt il s’assoupit, et, les mains dans ses poches,
Sommeille au mouvement monotone des broches.

Dès le matin le Juge en sa chambre écrivait :
L’huissier dès le matin à la porte attendait.
Le Juge de sa plainte a fini l’écriture ;
A Protais à voix haute il en donne lecture :
Il se plaint que le Comte ait atteint son honneur ;
Il accuse Gervais de coups et de fureur,
Tous les deux d’insolence et d’outrage ; il les cite
En paiement de tous frais causés par la poursuite.
Il faut avant ce soir lire et donner l’exploit
Aux accusés. L’huissier, aussitôt qu’il le voit,
Tend l’oreille et la main ; tout heureux qu’on l’emploie,
Son front est solennel ; son cœur bondit de joie.
Au seul mot de procès il se sent rajeunir.
Ah ! qu’il en a porté d’exploits, pour revenir
Meurtri de coups, chargé d’or et la mine fière !

Tel un pauvre invalide, après vingt ans de guerre,
Au fond d’un hôpital achevant ses vieux jours,
S’il entend la trompette ou le bruit des tambours,
Sort de son lit au cri de : mort au Moscovite !
Sur sa jambe de bois il court, et court si vite
Que les jeunes soldats ont peine à l’arrêter.

A porter son exploit Protais va s’apprêter.
Ni żupan, ni kontusz ne sont de circonstance :
Ils servent seulement pour les jours d’audience ;
Il met pour voyager de larges pantalons,
Un surtout, dont les pans, tombant jusqu’aux talons,
Peuvent se relever avec des aiguillettes ;
Il coiffe un grand bonnet portant des oreillettes
Qu’on lève ou qu’on rabat. Sous cet accoutrement,
Armé d’un gros bâton il part pédestrement.
L’huissier et l’espion, quand ils s’en vont en guerre,
Doivent se déguiser de diverse manière.

Si Protais de partir ne se fût pas pressé,
Sa joie et son orgueil eussent bientôt cessé :
Car à Soplitzowo tout change à l’improviste.