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Il voit Soplitzowo tout brillant de lumières.
« Illuminez, dit-il, brigands ! Mais, demain soir
Ce château brillera ; chez vous tout sera noir !… »

Gervais s’assied à terre auprès de la muraille ;
Il penche vers son sein son grand front qui travaille.
La lune y fait tomber ses rayons pâlissants,
Et le doigt de Gervais s’y promène en tous sens.
On voit qu’il y combine un grand projet de guerre.
Mais insensiblement s’alourdit sa paupière.
Son cou fléchit, ses yeux s’entr’ouvrent sans rien voir ;
Il a donc commencé sa prière du soir.
Mais après Notre Père, avant Je vous salue,
Des fantômes divers semblent troubler sa vue :
Il voit les Horeszko, ses maîtres d’autrefois,
Les uns le sabre en main, d’autres portant la croix ;
Leurs yeux sont menaçants, ils tordent leur moustache,
L’un agite son sabre et l’autre sa cravache :
Et derrière eux s’avance un spectre ensanglanté
Les deux mains sur son cœur. Gervais épouvanté
Croit voir le Panetier : il se signe au plus vite,
Et, pour mieux conjurer les fantômes, récite
La prière des morts et le De Profundis.
Ses yeux se sont fermés, il entend mille bruits :
Des nobles à cheval partent pour la conquête ;
C’est à Korelicze : Rymsza vole à leur tête !
Lui-même il se revoit poussant son cheval blanc,
Et brandissant en l’air son Canif tout sanglant ;
Il galope : le vent fait flotter sa jaquette ;
De son oreille gauche a glissé sa casquette :
Piétons et cavaliers fuient devant son regard,
Et là-bas Soplitza rôtit dans son hangar.
Alors son front pesant vers ses genoux retombe :
C’est ainsi qu’au sommeil le Porte-clefs succombe.