Page:Mickiewicz - Les Slaves, tome 1.djvu/94

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et historique sur la construction de la langue maternelle. Si la connaissance de la nature fournit des explications sur bien des phénomènes moraux, la science de la parole, ce lien intermédiaire entre le monde muet et le monde des esprits, finira sans doute aussi par résoudre beaucoup de problèmes philosophiques.

Le peuple slave, avant sa division en empires et en royaumes, présentait une vaste unité. Il n’y avait alors dans son sein ni dialectes, ni traditions nationales particulières. C’est ici le moment d’examiner la tradition commune et générale de toute la race. Cette tradition s’est conservée dans les contes et les chants populaires. Les contes slaves ont certains caractères qui les distinguent des contes orientaux et des contes occidentaux. Sans cesse cultivé en Orient, ce genre de littérature s’y est élevé jusqu’aux proportions de l’art ; en Occident, sans cesse comprimé par l’art, il a fini par disparaître entièrement. Dans les pays slaves, les contes existent encore a l’état de poésie primitive et nationale : ce ne sont ni une production littéraire, ni un amusement réservé a l’enfance. Là, les traditions antiques se racontent avec le même sérieux que chez les Grecs se chantaient les rapsodies épiques. Le caractère général du conte est le fantastique ; tout s’y passe en des temps et en des lieux nullement définis ; la scène est occupée par des êtres inconnus et surnaturels, les animaux se métamorphosent en arbres ; les arbres parlent : ce sont des oiseaux monstrueux, des dragons et des serpents gigantesques ; l’homme ne s’y montre que rarement. Les figures de ces acteurs étranges sont vagues,