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du désavantage apporté ici avec moi, et qui est inhérent à ma personne ?

Je suis étranger, Messieurs, et cependant il faut que je m’exprime dans une langue qui n’a rien ici de commun dans son origine, dans ses formes, dans son caractère, avec celle qui sert habituellement d’organe à ma pensée. Je n’ai pas seulement à vous traduire littéralement mes idées et mes sentiments dans un idiome étranger pour moi, il faut encore, avant de les rendre, que j’en transforme complètement l’expression. Ce travail intérieur si pénible est pourtant indispensable dans un cours de littérature ; car on n’y procède pas d’après une méthode connue et choisie d’avance, on ne s’attache pas à une formule qui permette à la pensée de se développer sans le secours du style, comme cela peut se faire pour les sciences exactes. Quand nous serons sortis de l’étude de la grammaire et de la philologie, j’aurai à vous faire connaître, à vous faire juger des monuments littéraires, des œuvres d’art : or, dans un cours, vouloir faire connaître un monument d’art ou de littérature, c’est vouloir faire passer dans l’âme de son auditoire l’enthousiasme qui l’a inspiré. Les études préparatoires, lors même que nous aurions le temps de nous y livrer, pourraient-elles donner la puissance d’extraire, d’un chef d’œuvre, cette vie mystérieuse et cachée qui est le véritable secret de l’art ? Non ! Messieurs ; pour que cette vie cachée, cette étincelle puisse jaillir, il faut prononcer une parole créatrice à son tour ; or on ne prononce une telle parole qu’en possédant tous les secrets de la langue dont se sert. Un étranger