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en elle toutes ses forces et développait tous ses principes ; tandis que la Pologne était continuellement électrisée par les orages qui lui venaient de la Turquie, la Bohême, abritée des Turcs par les Hongrois et les Polonais, communiquait par l’Autriche avec l’Europe civilisée. Elle voulut s’approprier la civilisation de l’Europe ; elle l’accepta dans les formes extérieures ; mais, au fond, elle ne trouva point en elle-même de quoi la nourrir, la faire fructifier.

Le nombre des ouvrages que les Bohêmes ont produits est immense. Certainement, ils ont plus écrit que les Polonais, les Russes, les Serviens, que tous les peuples slaves ensemble. Cependant leur littérature est dépourvue de force réelle ; elle n’a aucune originalité ; elle n’a pas produit une seule individualité puissante, poétique ou littéraire ; elle s’est continuellement traînée dans l’imitation. Peu à peu les lecteurs en vinrent à préférer les modèles étrangers à l’imitation nationale, l’original à la copie, et la langue allemande a insensiblement gagné du terrain sur la langue maternelle. Il est vrai que les Bohêmes ont lutté pendant quelque temps pour la défense de leur nationalité ; mais la lutte fut malheureuse parce qu’ils n’avaient compris cette nationalité que dans ce qu’elle avait d’extérieur et de purement matériel : ils ne se sont appuyés que sur les différences qui séparent leur langue et leur race, de la race et de la langue allemandes. Or la langue n’est pas seulement l’organe, l’instrument servant à communiquer la pensée. La langue, c’est la parole développée, et la parole n’est nationale qu’autant qu’elle porte en elle l’esprit