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intellectuel de la Pologne, comme l’autocratie de celui des Russes, et la littérature polonaise, qui n’est elle-même que le développement et l’application de ce dogme, s’éleva, grandit, fleurit sous la féconde inspiration de l’idée de patrie. Cette idée, il est très difficile de la définir ; car elle est large, vague : elle n’a pas encore été réalisée. À différentes époques, au milieu de circonstances diverses, elle s’est révélée à beaucoup d’esprits sous des lumières et des formes dissemblables. Le prédicateur inspiré Skarga conçoit et sent la patrie comme le règne d’une race élue, comme une Jérusalem avec son arche, son temple et son trône, avec son passé sacré dont la conservation et la défense sont la vie nationale. Dans l’opinion de nombre de réformateurs modernes, la patrie, c’est l’ordre politique de l’avenir qu’il faut travailler à établir. La liberté, la puissance et le bonheur entrent nécessairement dans l’ensemble de cette conception. Il n’y a rien d’étonnant que cette idée n’ait pas encore été complètement réalisée ; car l’état social de la Pologne n’a jamais complètement répondu aux conditions indispensables à cette réalisation. On comprend maintenant qu’il est impossible d’exprimer le patriotisme polonais par des mots ; de l’enfermer dans une formule scientifique. Pour les poëtes, pour les orateurs, pour les hommes politiques, nationaux, la patrie, ce n’est pas l’endroit ou l’on est bien — ubi bene — ; ce n’est pas même un certain idéal de prospérité ; c’est encore moins une étendue de terre entourée de frontières, au-delà de laquelle doit cesser toute action nationale ; la