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chez les modernes, se retrouve dans la poésie serbienne. Les plus grandes compositions produites par un homme de génie portent toujours l’empreinte de cet homme, et dégénèrent ordinairement en ce qu’on appelle la manière. Les poésies grecques et les poésies serbiennes ont évité cet inconvénient par la façon même dont elles nous sont parvenues. Ces poésies, sans cesser d’être anciennes, ne cessèrent pas non plus d’être jeunes, précisément parce qu’elles étaient chantées par tout le peuple, récitées par des rapsodes, et qu’elles vivaient ainsi de la vie du peuple.

Les poëtes qui les chantaient et qui les composaient sont aussi chez les Serbiens des äveugles, chose extraordinaire !

Sous ce rapport, les rapsodes serbiens rappellent encore les Homérides. Dans les basses terres, en Serbie, l’aveugle signifie le poëte : ces deux mots sont synonymes. Ces aveugles mendiants parcourent les villages, s’arrêtent devant chaque maison, et presque toujours y chantent une rapsodie. Ils sont mendiants comme Homère. Mais les Serbiens n’ont pas attaché à ce mot mendiant les idées d’aujourd’hui. Les mendiants ne sont pas humiliés ni méprisés chez les peuples slaves, surtout chez les Serbiens ; ils récitent des prières et chantent des poésies : ils sont entourés d’une sorte de respect.

Le principal siège de composition poétique des Serhiens était le pays des montagnes, le Monténégro, la Bosnie, l’Herzogovine. C’est là qu’a pris naissance la poésie héroïque, répétée ensuite par les