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toujours rencontrer quelques personnalités. J’y trouvai, entre autres, Azevedo, critique musical attaché au journal l’Opinion Nationale, Rossiniste enragé et l’un des plus fougueux persécuteurs de Wagner.

Rossini, dès qu’il le vit, l’interpella d’un air narquois : « Eh Azevedo, eh bien ! je l’ai vu, il est venu… le monstre… votre bête noire… Wagner ! »

Tandis que le maestro continuait de s’entretenir avec Carafa, Azevedo me prit à part pour obtenir quelques détails à propos de cette entrevue. Mais un instant après, Rossini venant nous interrompre : « Vous avez beau dire, — poursuivit-il en s’adressant à Azevedo — ce Wagner — je dois en convenir — me semble doué de facultés de premier ordre. Tout son physique — son menton surtout — révèle le tempérament d’une volonté de fer. C’est une grande chose que de savoir vouloir. S’il possède au même degré, comme je le crois, le don de pouvoir, il fera parler de lui. »

Azevedo se tut ; mais il me glissa dans l’oreille : « Pourquoi Rossini parle-t-il au futur ? Cet animal, tudieu, ne fait déjà que trop parler de lui au présent. »

Quant à Rossini, il ne pouvait certes pas se douter jusqu’à quel point, dix ans plus tard, alors qu’il n’y serait plus, sa prédiction non seulement se trouverait accomplie, mais prodigieusement dépassée.


N’est-ce pas une particularité bien extraordinaire à retenir de l’existence de l’auteur du Barbier et de Guillaume Tell — qu’il ait connu à quarante ans de distance, ces deux vastes génies dont l’un, Beethoven au début du siècle révolutionna la musique instrumentale — dont l’autre, Wagner, vers la fin de la même ère, devait révolutionner l’opéra, — tandis que pendant cet intervalle d’attente entre Fidelio et Tannhäuser, il fut dévolu à lui l’Italien, de fasciner ses contemporains par le charme mélodique des formes nouvelles dont il fut le brillant initiateur, et d’apporter sa part d’influence incontestable aux destinées futures du drame musical.