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domaine de l’art dans ses espaces illimités et résolu à s’élever aux plus hauts sommets.

Le contact de ces deux hommes, toute équivoque s’étant rapidement dissipée, avait donc abouti à un sentiment d’estime réciproque qui persista dans la suite avec autant de sincérité que de déférence. Et pourtant, combien disparates ces deux génies !

Wagner, au tempérament foncièrement germanique, absolu, impérieux, combatif, nourri à l’école de Schopenhauer, profond et sublime comme Beethoven, cerveau en ébullition perpétuelle, dominé et harcelé par son Genius, son démon, ainsi qu’il le nommait ; conscient de son apostolat qui était sa puissance, conscient de son devoir de créer, qui était sa destinée.

L’autre, Rossini, l’Italien, esprit alerte, brillant, adepte de la philosophie d’Épicure, jouissant de la surface des choses plutôt que de prendre la peine d’en pénétrer le fond ; se laissant vivre au jour le jour en jetant à tous les vents ses improvisations ; ayant lui pour Genius, au lieu du démon ravageur de Wagner, une fée douce et généreuse pleine de caresses ; ne cédant aux attractions de l’art qu’en cas de contrainte et alors faisant appel à la complaisance d’un instinct merveilleux toujours prêt à répondre à ses sollicitations.

Tel était le contraste entre ces deux musiciens, dont l’un au cours d’une vie tempétueuse devait combattre jusqu’au bout, créer jusqu’à son dernier souffle ; dont l’autre, après avoir terminé la première période d’une existence saturée de triomphes et de délices, se reposa dès le septième lustre de son âge, satisfait de lui-même et de son œuvre, ainsi que fit l’Éternel au septième jour de la création.

Je mis donc en ordre mes notes et le même soir, comme de coutume, j’allai chez Rossini, où l’on était certain de