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Wagner. « Vous avez fait là, maestro, de la musique de tous les temps et c’est la meilleure. »


Rossini. « Je vous dirai que le sentiment qui m’a le plus remué dans ma vie, c’est l’amour que j’avais pour ma mère et pour mon Père, et ils me le rendaient avec usure, je me plais à le dire. C’est là, je crois, que j’ai trouvé la note qu’il fallait pour cette scène de la pomme — de Guillaume Tell.

» Mais encore une question, monsieur Wagner, si vous me le permettez : comment accordez-vous avec ce système, l’emploi simultané de deux, de plusieurs voix, ainsi que celui des chœurs ? Pour être logique il faudrait les prohiber…? »


Wagner. « Ce serait en effet rigoureusement rationnel, que le dialogue musical se modelât sur le dialogue parlé, en laissant aux personnages la parole, chacun à son tour. Mais d’autre part aussi, on admettra que par exemple, deux personnes distinctes puissent, à un moment donné, se trouver dans un même état d’âme ; — partager un sentiment commun et par suite joindre leurs voix pour s’identifier dans une pensée unique. De même que plusieurs personnes assemblées, s’il y a lutte entre les sentiments divers qui les animent, peuvent sensément user de la faculté de les exprimer simultanément, tandis qu’individuellement chacune d’elles détermine celui qui lui est propre.

» Et comprenez-vous maintenant, maestro, quelles ressources immenses, infinies, vaudra aux compositeurs, ce système d’application à chacun des personnages du drame, à chacune des situations, — d’une formule mélodique type, susceptible dans le courant de l’action — tout en conservant son caractère d’origine — de se prêter aux développements les plus divers, les plus étendus…?

» Dès lors, ces ensembles où chacun des personnages apparaît dans son individualité, mais où tous ces éléments se combinent dans une polyphonie appropriée à l’action, ces ensembles-là ne nous donneront plus le spectacle, je le répète, de ces ensembles absurdes où les personnages animés des passions les plus contradictoires, se trouvent à un moment donné, condamnés sans rime ni raison, à unir leurs voix dans une sorte de largo d’apothéose, dont les