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» Il me demanda après une pause, quelques détails sur les théâtres en Italie… sur les chanteurs en renom… si l’on y jouait fréquemment les opéras de Mozart… si j’étais satisfait de la troupe italienne de Vienne ?…

» Puis, en me souhaitant une bonne interprétation et le succès de Zelmira, il se leva, nous reconduisit jusqu’à la porte et me redit encore : Surtout, faites beaucoup « del Barbiere ».


» En descendant cet escalier délabré, je ressentis de ma visite à ce grand homme, une impression tellement pénible — songeant à cet abandon, à ce dénuement — que je ne pus maîtriser mes larmes. « Ah ! dit Carpani, c’est qu’il le veut ainsi. Il est misanthrope, bourru et ne sait conserver aucune amitié. »


» Le même soir, j’assistai précisément à un dîner de gala chez le prince de Metternich. Encore tout bouleversé de cette visite, de ce lugubre un infelice qui m’était resté dans l’oreille, je ne pus, je l’avoue, me défendre intérieurement d’un sentiment de confusion, de me voir par comparaison traité avec tant d’égards, dans cette brillante assemblée de Vienne ; ce qui m’amena à dire hautement et sans ménagement tout ce que je pensais de la conduite de la Cour et de l’aristocratie vis-à-vis du plus grand génie de l’époque, dont on se souciait si peu et qu’on abandonnait en une pareille détresse. — L’on me fit une réponse identique à celle que je reçus de Carpani. Je demandai si cependant cet état de surdité de Beethoven, n’était pas digne de la plus grande pitié… S’il était vraiment charitable de relever les faiblesses qui lui étaient reprochées, pour y chercher des motifs de refus à venir à son secours ? J’ajoutai que ce serait si facile, moyennant un engagement de souscription très minime, si toutes les familles riches intervenaient, de lui assurer une rente assez large pour le mettre sa vie durant, à l’abri de tout besoin. Cette proposition n’obtint l’appui de personne[1].

  1. Cette indifférence — presque criminelle — qui persista dans la société viennoise vis-à-vis de Beethoven et de la situation précaire qui l’accablait, est d’autant plus inexplicable, qu’à cette époque l’œuvre publiée du maître marquait déjà le no 111 du catalogue, com-