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beaucoup d’instinct. Faute de posséder une instruction musicale approfondie, — d’ailleurs, où l’aurais-je acquise de mon temps en Italie ? — le peu que je savais, je l’ai découvert dans les partitions allemandes. Un amateur de Bologne en possédait quelques-unes : la Création, les Noces de Figaro, la Flûte enchantée… Il me les prêtait, et comme je n’avais pas, à 15 ans, les moyens de me les faire venir d’Allemagne, je les copiai avec acharnement. Je vous dirai qu’il m’arrivait même le plus souvent, de ne transcrire d’abord, que la partie vocale seulement sans examiner l’accompagnement d’orchestre. Alors, sur une feuille volante, j’imaginais un accompaguement de mon cru, qu’ensuite je comparais à ceux d’Haydn et de Mozart ; après quoi, je complétais ma copie en y ajoutant les leurs. Ce système de travail m’a plus appris que tous les cours du Lycée de Bologne. Ah ! si j’avais pu faire mes études scolastiques dans votre pays, je sens que j’aurais pu produire quelque chose de mieux que ce que l’on connaît de moi. »


Wagner. « Non pas mieux assurément, pour ne citer que votre Scène des Ténèbres, de Moïse, la Conspiration de Guillaume Tell et, dans un autre ordre, Quando Corpus morietur… »


Rossini. « Vous me citez là, je veux bien en convenir, d’heureux quarts d’heure dans ma carrière. Mais qu’est-ce tout cela à côté de l’œuvre d’un Mozart, d’un Haydn ? Je ne saurais assez vous dire combien j’admire chez ces maîtres, cette science souple, cette sûreté qui leur est si naturelle dans l’art d’écrire Je les leur ai toujours enviées ; mais cela doit s’apprendre sur les bancs de l’école, et encore faut il être Mozart pour savoir en tirer profit. — Quant à Bach, pour ne pas quitter votre pays, — c’est un génie écrasant. Si Beethoven est un prodige dans l’humanité, Bach est un miracle de Dieu ! Je suis abonné à la grande publication de ses œuvres. Tenez... vous voyez précisément là, sur ma table, le dernier volume paru. Vous le dirai-je ? Le jour où le suivant m’arrivera, ce sera encore pour moi un jour de jouissances incomparables. Combien je voudrais, avant de m’en aller de ce monde, pouvoir