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« D’ailleurs, continuai-je, en discutant mes opéras, vous ne m’avez fait que trop d’honneur, à moi qui suis si peu de chose à côté des grands génies de votre pays. Aussi vais-je vous demander de me permettre de vous embrasser ; et, croyez-moi, si mon amitié peut avoir quelque prix à vos yeux, je vous l’offre complètement et de tout mon cœur. »

Je l’embrassai avec effusion et je vis apparaître une larme dans ses yeux.


Wagner. « Il était déjà atteint alors, je le sais, de la phtisie, qui devait l’emporter peu de temps après. »


Rossini. « En effet. Il m’apparut dans un état pitoyable : le teint livide, émacié, affecté de la toux sèche des poitrinaires… puis boitant : il faisait peine à voir. Peu de jours après, il vint me retrouver afin de me demander quelques recommandations pour Londres, où il allait se rendre. Je

    dont la violence me sembla aller crescendo à mesure que je débitais diminuendo, en présence de cet homme armé, mes zufrieden toujours de plus en plus polis et respectueux.

    » Tout à coup, rouge de colère, il appela un second agent et tous les deux, l’écume à la bouche, m’empoignèrent pour de bon.

    » Tout ce que je comprenais de leurs vociférations, c’était commissaire de police.

    » Pendant qu’ils m’entraînaient, le hasard fit que l’ambassadeur de Russie passât en voiture auprès de nous. Je vois encore sa tête lorsqu’il me reconnut ainsi flanqué de deux policiers.

    » Il fit arrêter son équipage et s’enquit auprès de mes gardiens de ce qui se passait. Après quelques explications en allemand, ces braves me lâchèrent, non sans force révérences et excuses, dont je ne saisis l’éloquence qu’à la vue de leurs gestes désespérés.

    » L’ambassadeur me fit monter dans sa voiture, où il m’apprit que l’agent de police m’avait d’abord tout bonnement demandé mon nom, afin qu’en cas de besoin mon témoignage pût être requis à propos du crime qui s’était accompli sous mes yeux. (Tandis qu’après tout, l’agent n’obéissait qu’à son devoir, mes innombrables zufrieden l’avaient exaspéré à tel point, qu’il m’avait pris pour un mauvais farceur et qu’il voulait me faire rappeler au respect de la police par le commissaire lui-même.)

    » L’ambassadeur lui ayant dit que j’étais excusable, puisque je ne comprenais pas l’allemand...

    « Celui-ci ? allons donc, riposta l’agent, il parle le plus pur « viennois. »

    » Soyez donc poli… et, en pur viennois encore ! »