Page:Michotte - La Visite de R. Wagner à Rossini, 1906.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 16 —

Mme Rossini jugea qu’un changement de milieu s’imposait. Elle pensa à Paris, où son mari, parmi de nombreux admirateurs, avait laissé de sérieuses amitiés. Plus encore que sur les secours de la thérapeutique, elle comptait sur les joies du retour auprès d’anciens amis, sur l’attrait d’un nouvel entourage, — toutes choses qui seraient de nature, croyait-elle, à exercer une action efficace sur le moral si affaibli et si découragé de son mari.

Ce ne fut pas facile au premier moment de triompher des résistances de Rossini ; de l’amener à entreprendre un pareil voyage, lequel devait s’accomplir en chaise de poste, avec des relais fréquents et des haltes dans toutes les villes où il fallait passer la nuit. Car Rossini se refusait obstinément à voyager en chemin de fer[1]. Il prétendait comme excuse, que c’était par trop humiliant, étant emporté au gré d’une machine… de se sentir assimilé au transport d’un colis. Mais au fond, par une bizarrerie de son esprit nerveux, il avait franchement peur du chemin de fer.

Enfin, il consentit. — Après un voyage de quinze jours, il arriva à Paris, exténué et d’aspect absolument lamentable. L’état de ses nerfs, déjà fortement ébranlés par la maladie, s’était aggravé à la suite des cahots et des péripéties du voyage. Ses amis en le revoyant, la face exsangue, le regard éteint, la parole hésitante, l’intellect obscurci, se montraient consternés. On ne se dissimulait pas, en présence de ces symptômes, qu’un irrémédiable ramollissement était à redouter.

Heureusement la science médicale, grâce au dévouement d’éminents praticiens, parvint au bout de quelques mois à triompher de cet état alarmant ; et tandis que le corps se rétablissait graduellement, le milieu réconfortant que des amis attentifs surent créer autour du maestro, finit par rallumer la flamme d’un cerveau que l’on croyait à jamais éteint. Plus tard une cure à Kissingen acheva la guérison.

  1. L’unique voyage qu’il ait jamais risqué sur le rail, est celui que lors de son passage en Belgique (1836) il fit sur la ligne de Bruxelles à Anvers, pour aller admirer dans la cité où résida Rubens, les chefs-d’œuvre du peintre. « Je frémis encore de tous mes membres — disait-il — chaque fois que j’y pense. »