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« Je l’avoue, mon cher Érasme, c’est avec raison que tu hésites devant toutes ces choses ; moi aussi, il y a dix ans, j’ai hésité... Pouvais-je croire que cette Troie, qui depuis si longtemps avait victorieusement résisté à tant d’assauts, pût tomber un jour ? J’en atteste Dieu dans mon âme, j’eusse persévéré dans ma crainte, j’hésiterais encore aujourd’hui, si ma conscience, si la vérité, ne m’avaient contraint de parler. Je n’ai pas, tu le penses bien, un cœur de roche ; et quand je l’aurais, battu par tant de flots et d’orages, il se serait brisé, ce cœur, lorsque toute cette autorité venait fodre sur ma tête, comme un déluge prêt à m’accabler. »

Il dit ailleurs : « ... J’ai appris par la Sainte-Écriture que c’est chose pleine de péril et de terreur d’élever la voix dans l’Église de Dieu, de parler au milieu de ceux que vous aurez pour juges, lorsque arrivés au dernier jour du jugement, vous vous trouverez sous le regard de Dieu, sous l’œil des anges, toute créature voyant, écoutant, et dressant l’oreille au Verbe divin. Certes, quand j’y songe, je ne désirerais rien plus que le silence, et l’éponge pour mes écrits. Avoir à rendre compte à Dieu de toute parole oiseuse, cela est dur, cela est effroyable ![1] »

(27 mars 1519) « J’étais seul, et jeté dans cette

  1. Il est curieux de rapprocher de ces paroles de Luther le passage si différent des Confeasions de Rousseau :
    « Que la trompette du Jugement dernier sonne quand elle voudra ; je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement Voilà ce que j’ai fait, ce que j’ai pensé, ce que je fus... Et puis, qu’un seul dise, s’il l’ose : Je fus meilleur que cet homme-là. »