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la tradition vient d’être rompue, l’unité brisée, la robe sans couture déchirée. Qu’on ne croie pas que Luther lui-même, avec toute sa violence, ait franchi sans douleur ce dernier pas. C’était d’un coup arracher de son cœur tout un passé vénérable dans lequel on avait été nourri. Il croyait, il est vrai, garder pour soi l’Écriture. Mais enfin c’était l’Écriture autrement interprétée qu’on ne faisait depuis mille ans. Ses ennemis ont dit souvent tout cela, aucun d’eux plus éloquemment que lui.

« Sans doute, écrit-il à Érasme au commencement de son triste livre De servo Arbitrio, sans doute, tu te sens quelque peu arrêté en présence d’une suite si nombreuse d’érudits, devant le consentement de tant de siècles où brillèrent des hommes si habiles dans les lettres sacrées, où parurent de si grands martyrs, glorifiés par de nombreux miracles. Ajoute encore les théologiens plus récents, tant d’académies, de conciles, d’évêques, de pontifes. De ce côté se trouvent l’érudition, le génie, le nombre, la grandeur, la hauteur, la force, la sainteté, les miracles ; et que n’y a-t-il pas ? Du mien, Wicleff et Laurent Valla (et aussi Augustin, quoique tu l’oublies), puis Luther, un pauvre homme, né d’hier, seul avec quelques amis qui n’ont ni tant d’érudition, ni tant de génie, ni le nombre, ni la grandeur, ni la sainteté, ni les miracles. A eux tous, ils ne pourraient guérir un cheval boiteux... Et alia quæ tu plurima fanda enumerare vales. Que sommes-nous, nous autres ? Ce que le loup disait de Philomèle : Tu n’es qu’une voix ; Vox est, prætereaque nihil...