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bien des gens de lettres, des savants parvenus, qui ne lisaient que Cicéron, qui auraient craint de compromettre leur latinité en ouvrant la Bible. S’ils nommaient le pape, c’était le grand pontife ; un saint canonisé était dans leur langage relatus inter Divos, et s’ils parlaient encore de la grâce, ils disaient : Deorum immortalium beneficiis.

Si notre Allemand se réfugiait aux églises, il n’avait pas même la consolation d’une bonne messe. Le prêtre romain expédiait le divin sacrifice de telle vitesse, que Luther était encore à l’évangile quand l’officiant lui disait : Ite, missa est. Ces prêtres italiens faisaient souvent parade d’une scandaleuse audace d’esprit fort. Il leur arrivait en consacrant l’hostie de dire : panis es, et panis manebis. Il ne restait plus qu’à fuir en se voilant la tête. Luther quitta Rome au bout de quatorze jours.

Il emportait en Allemagne la condamnation de l’Italie, celle de l’Église. Dans ce rapide et triste voyage, le Saxon en avait vu assez pour condamner, trop peu pour comprendre. Certes, pour un esprit préoccupé du côté moral du christianisme, il eût fallu un singulier effort de philosophie, un sens historique bien précoce pour retrouver la religion dans ce monde d’art, de droit, de politique, qui constituait l’Italie.

« Je ne voudrais pas, dit-il quelque part, je ne voudrais pas pour cent mille florins ne pas avoir vu Rome (et il répète ces mots trois fois). Je serais resté dans l’inquiétude de faire peut-être injustice au pape. »