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temps. Ce qui était du pays, ce qui ne peut changer, c’est cet invincible paganisme qui a toujours subsisté en Italie. Là, quoi qu’on fasse, la nature est païenne. Telle nature, tel art. C’est une glorieuse comédie, drapée par Raphaël, chantée par l’Arioste. Ce qu’il y a de grave, d’élevé, de divin dans l’art italien, les hommes du Nord le sentaient peu. Ils n’y reconnaissaient que sensualité, que tentations charnelles. Leur meilleure défense, c’était de fermer les yeux, de passer vite, de maudire en passant.

Le côté austère de l’Italie, la politique et la jurisprudence, ne les choquaient pas moins. Les nations germaniques ont toujours instinctivement repoussé, maudit le droit romain. Tacite raconte qu’à la défaite de Varus, les Germains se vengèrent des formes juridiques auxquelles il avait essayé de les soumettre. L’un de ces barbares clouant à un arbre la tête d’un légiste romain, lui perça la langue, et il lui disait « Siffle, vipère, siffle maintenant. » Cette haine des légistes, perpétuée dans tout le moyen âge, a été, comme on verra, vivement exprimée par Luther ; et il en devait être ainsi. Le légiste et le théologien sont les deux pôles ; l’un croit à la liberté, l’autre à la grâce ; l’un à l’homme, l’autre à Dieu. La première croyance fut toujours celle de l’Italie. Son réformateur, Savonarole, qui parut peu avant Luther, ne proposait rien autre qu’un changement dans les œuvres, dans les mœurs, et non dans la foi.

Voilà Luther en Italie. C’est un moment de joie, d’immense espoir, que celui où l’on descend les Alpes